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1 March 2017


Ce dossier, composé de 3 parties, a pour but de transmettre et de partager cette passion que toi, lecteur de Main Opposée, partages ou découvres. Il décrit les sensations que nous, amoureux de la cage, partageons. Il traitera également des moments magiques, des parades légendaires et des protagonistes qui sont entrés au panthéon de l’art. De la beauté du gardien, de la passion qui les habite, et de l’amour des mains opposées.

Pour lire la partie 1 du Dossier, cliquez ici.

En cette triste période, nos pensées sont à la famille et aux proches du petit Émile, qui a tragiquement péri lors d’un match de foot alors qu’il était gardien. L’injustice ne peut parfois pas être décrite par les mots.

De la magie de l’arrêt

“Le sacrifice est le seul domaine aussi fort que celui du mal” disait Malraux. Et le but, c’est ce mal qui plane sur le gardien. Telle une épée de Damoclès au-dessus de sa tête. Le but, c’est cette peste que le gardien redoute, qu’il attend comme une inévitable mort, mais qu’il essaie de repousser encore et encore.  Sa seule arme est le sacrifice de soi. Alors, il se sacrifie sans relâche, encore et encore. Il ne se passe une seule minute sans qu’il ne soit prêt à s’envoler, à s’étendre, à s’écrouler. Ce moment, qui dure un instant pour le téléspectateur, est un rêve pour le seul protagoniste de ce miracle.

L’envol déjà semble naturel, comme s’il était fait pour voler dans les cieux. Le portier est aux hommes ce que le paradis est aux cieux. S’en suit un moment de gloire, qui pour lui demeure incompréhensible. Lorsque le monde le regarde, lui est habité d’une étrange sensation. Cette seconde est impossible à comprendre pour nous, commun des mortels. Quant à lui, une étrange sensation de légèreté l’envahit, mais il attend impatiemment. Surpris d’un décollage aussi soudain, il attend le verdict. Il ne peut quitter le cuir des yeux, comme s’il ne vivait que pour le tuer.

Un magnifique crime, un horrible miracle. Si le gardien aspire à la beauté, à sa cage inviolée, à sa pudeur intouchée, il doit perpétuer un terrible meurtre. Anéantir la beauté du but, écraser le rêve du supporter, enterrer l’espoir de l’attaquant. Il faut créer pour détruire, il faut détruire pour créer. De la magie de l’arrêt.

Envol majestueux
Buffon vs Recoba

Salvador Dali déclarait la perfection inatteignable. La perfection demeure une idylle à laquelle tout portier aspire. Le portier parfait serait une machine capable d’arrêter toute offense à sa cage. En cette soirée de mai 2001, Gigi Buffon va s’élever encore plus haut que la perfection. Recoba est alors au sommet de sa gloire. Il se présente aux abords de la surface. Quelques mètres plus loin se tient un jeunot qui commence à entrer dans la légende. Gigi est alors gardien de Parme, et est déjà dans le viseur de la Juve.

Le tir que Recoba adresse est une prouesse, une incroyable déferlante de patte gauche. Sa trajectoire est aussi surprenante que sa puissance, Napoléon a raté ce coup de canon de deux siècles. L’argentin entend bien déshonorer la lucarne opposée de Buffon, et entrer un peu plus dans la légende. Mais en face se tient Gianluigi Buffon. Le portier italien n’attendait que ça pour briller. Pour une telle bataille, il faut deux acteurs à la hauteur du duel. Cette adversité, ce défi inhumain que propose Recoba à Buffon, sublime cet instant. Le départ du ballon est suivi par celui de l’italien, comme un canon s’élevant majestueusement. Alors débute un instant éternel. À voir l’envolée de Buffon, il n’atterrira plus jamais. Il s’élève pour toujours rejoindre les cieux, profitant de cet aller simple pour refuser à Recoba son plaisir interdit. Il n’y a rien de plus beau que d’admirer cette incroyable horizontale, comme un mur se dépliant en quelques millisecondes. L’envol majestueux.

 

Chilavert vs Maradona

Rien n’égale la beauté d’une parade, à part peut-être la stupeur de l’attaquant. Nous sommes le 13 avril 1997. Boca Juniors et Maradona affrontent Chilavert et Vedez Sarsfield. Maradona se présente pour un coup-franc plutôt lointain, au premier abord sans grand danger. Les deux vétérans nous offrent un moment légendaire, comme une apothéose de leurs carrières. Deux génies opposés qui se subliment dans leur affrontement.

Tout se passe en quelques secondes. En réalité, ces instants ne peuvent être appréhendés à vitesse réelle. Tout va trop vite, comme si le temps lui-même ne pouvait nous laisser trop exposés à ce spectacle. Au milieu de ce méli-mélo de mouvements, deux êtres se distinguent, comme surhumains. Encore une fois, la frappe est limpide, et se dirige inévitablement vers la lucarne gauche de Chilavert. À une telle puissance s’ajoute la surprise du tir. Maradona vient d’envoyer une invitation à Chilavert, pour le rejoindre aux cieux. Une envolée étrange s’en suit, presque possédée par un être supérieur. Pourtant, il est impensable de le voir arriver à temps sur le ballon. Le football est un inattendu constant, comme une divine cacophonie d’événements qui se répondent les uns les autres. Soudain, une ombre verte surgit. Comme une apparition divine, une main blanche s’oppose au ballon, comme deux amants qui se retrouvent enfin. Le ballon heurte violement le poteau blanc immaculé, d’un fracas à la hauteur de l’affrontement surhumain auquel assistent alors ébahis, tous, joueurs y compris. Comme un symbole, ce poteau est presque la seule issue possible, comme si le hasard avait choisi du sort de ce duel. Maradona était déjà aux cieux fêtant son but, il retombe aussi violement que son alter ego paraguayen. Comment ne pas s’incliner devant une telle scène ? Il se dirige vers le sublime albatros paraguayen, le félicitant incrédule, s’inclinant presque devant lui. L’envol majestueux.

Duels insoutenables
Casillas vs Robben

Il y a des oppositions légendaires, des duels qui traversent les temps, restant gravés dans la pierre sombre de l’humanité. David contre Goliath, Achille contre Hector, Casillas contre Robben. Nous sommes le 11 juillet 2010, lors de la Coupe du Monde sud-africaine. La finale oppose la surprenante équipe des Pays-Bas aux ogres espagnols. Un match envahi par une tension omniprésente, comme un crescendo vibrant de plus en plus, ponctué par les nombreuses fautes hollandaises qui découpent le jeu comme les joueurs. On joue alors la 60ème minute, et le match tourne à la tragédie. Après un immonde cafouillage digne des batailles antiques, apparait la tempête Robben. Servi par le sublime Sneijder, dont l’éclair de génie rappelle Moise fendant la mer en deux, l’ailier néerlandais se dirige seul vers le but, menaçant San Iker un peu plus à chaque foulée.

Robben l’intraitable promet à tout fan de football la désillusion de voir la violence triompher. Plus que l’Espagne, le monde entier tremble de voir triompher la fin sur les moyens. Tous renient alors l’idée d’une justice gouvernant ce monde, comme si le destin avait choisi de condamner le football à une incroyable tragédie. Arrivé aux abords de la surface, le but semble infiniment grand, comme une invitation à détruire tout espoir espagnol. Un seul espoir subsiste alors, mais qu’il parait dérisoire. Qu’est-ce qu’un homme devant l’immensité de la cage ? Qu’est-ce qu’un homme devant l’Apocalypse inévitable ? En face de la tempête orange, le Saint semble condamné. Il se présente à la tempête, seul convaincu de la puissance du miracle. Il se jette devant l’orage, presque condamné à y périr. Mais le miracle survient enfin, alors que lui-même n’y croyait plus. Ce pied délaissé, d’habitude inutile à celui dont les mains sont les apôtres, le sauve de justesse. Le ballon contré passe à quelques centimètres du poteau, et vient mourir à son chevet. Qu’est-ce que la force du capitaine, sinon que de redonner foi à tous ses disciples ? San Iker est canonisé.

Almunia vs Leicester

Lorsque le sort choisit son camp, il semble obstiné à ne plus jamais le quitter. Lorsque le sort se mêle au football, c’est là que résonne sa beauté dans l’éternité. L’arène de ce combat est on ne peut plus spéciale : Play-off de Championship anglaise, opposant Watford à Leicester. Le score cumulé est de 2-2, lorsque Leicester obtient un pénalty dans le temps additionnel. Ce coup de sifflet, cette sentence qu’inflige l’arbitre à Watford, est presque une condamnation à l’enfer. L’attaquant se tient alors devant 7 mètres 32 de Premier League, où le malheureux Almunia fait office de sentinelle. Le pénalty, cette épreuve cruelle où un gardien tente tant bien que mal de s’extirper de la guillotine, est alors synonyme de montée pour les Foxes.

L’attaquant s’élance vers ce ballon, qui reste immobile, attendant d’être propulsé dans l’immaculé filet du gardien espagnol. Se produit alors l’impossible destinée, où le portier espagnol réussit l’improbable. Le gardien s’élance vers le ballon, et le ballon s’élance contre le gardien. Une parade brutale, presque irréelle, que le sort ne peut accepter. La cruauté de ce sport est de vous combler puis de vous décevoir en l’espace d’un instant, comme si l’on vous faisait visiter le paradis, pour emménager dans les enfers. Mais Almunia n’accepte pas, il refuse cette cruelle issue qui se présente à lui. Lorsque le ballon revient dans les pieds de l’attaquant, il voit alors lui surgir à la figure un démon enragé, libéré des enfers. On vient d’assister à la plus belle des démonstrations, celle du libre arbitre d’un homme, qui n’accepte pas la mort, sinon la moque. Le reste est une hérésie, une offense au destin, comme s’il avait brisé les chaines du sort. Contre-attaque éclair, but plein de rage. Le gardien revient des enfers pour créer son paradis. L’immensité de l’enfer était trop petite pour un tel homme.

Réflexes inhumains
Banks vs Pelé

La beauté d’une légende réside dans son immortalité. S’il y a bien un gardien qui a marqué l’histoire de ce poste, c’est bien Gordon Banks. Il existe des hommes qui révolutionnent leur art, Banks vient lui d’en définir un nouveau. Parfois, lorsque le génie dépasse l’entendement, il est difficile de résumer le tout par un simple extrait. Souvent, on ne peut saisir l’étendue du talent qu’en examinant le tout. Mais dans ce cas, Banks peut être résumé en un seul arrêt, car il est un condensé de génie, de talent et de légende tout simplement. À jamais dans l’éternité.

Coupe du monde 1970, l’occasion pour Banks de se mesurer à une autre créature surhumaine. Le roi Pelé, monarque éternel du football, et à jamais le premier des meilleurs. La rapidité d’exécution de cette équipe du Brésil déroute l’Angleterre. Une passe en profondeur, un centre, que Pelé reprend parfaitement d’une tête piquée au second poteau. Et là, le temps s’arrête. Il existe des moments qui défient l’essence même du temps, qui semblent changer les lois de l’univers, comme si leur essence même était justement irréelle. Même les images ne parviennent pas à expliquer ce que l’on voit se produire alors. Comme une hallucination générale, avec pour enchanteur le portier anglais. Il se jette vers ce ballon qui se dirige inévitablement vers son filet. Et l’impensable se produit, un refus exquis adressé au roi du football. Cette main anglaise qui surgit au dernier moment, et s’oppose au puissant coup de tête de Pelé. Le ballon paniqué, est tiraillé entre la violence du coup de tête et l’autorité de la main d’acier de Banks. Il en ressort dérouté, d’une trajectoire aussi étrange que le génie de la parade. Banks se relève alors dignement, semblant diminué de par l’adversité de l’épreuve qu’il vient de surmonter. Il ne rend surement pas compte qu’il vient de peindre à jamais l’image de la perfection que tout gardien aimerait atteindre. Il n’est de plus belle œuvre que celle que personne ne pourra jamais reproduire. Il y a des images qui valent un millier de mots.

 

Seaman vs Sheffield Utd

Qu’est-ce que le portier, sinon celui vers qui l’on se tourne lorsque tout semble perdu ? Lorsque l’espoir n’est plus, le portier est le seul qui puisse encore tout sauver. Cette responsabilité de dernier rempart, de seul et unique chance, de héros solitaire qui vient tout rétablir lorsque rien ne va plus, telle est l’essence même de ce poste. Si les yeux de l’espoir brillent de mille feux, c’est bien le portier qui allume cette flamme. Lui, ce chevalier de l’ombre, cette lumière guidant les peuples, tel le phare au milieu de la tempête. Seaman, durant l’espace d’un instant, a incarné cet espoir renaissant de nulle part.

Match de FA CUP contre Sheffield United, qui restera à jamais dans la mémoire des portiers. Corner et cafouillage presque habituel en Angleterre. Le chaos règne dans la surface de réparation, quand du chaos surgit le danger. Un ballon à bout portant, dévié à maintes reprises, mais qui prend finalement sa direction finale. Il lui a fallu plusieurs déviations avant de se décider, mais il sait maintenant que son chemin est le but. Loin de ce ballon, comme l’unique hameau de calme qui subsiste malgré le chaos, se tient Seaman. Impuissant, hésitant jusque-là, le gardien d’Arsenal, debout au milieu de la tempête, est comme l’arbre qui ne plie pas malgré les bourrasques violentes.  Soudain, il voit enfin clair dans le chaos omniprésent. Mais le ballon est déjà aux portes de son but, s’apprêtant à franchir la ligne sacrée qu’il protège. Tous s’arrêtent, tous sauf lui. Enfin, il réagit, et se déplie enfin, tel un ressort comprimé que l’on aurait enfin relâché. Il arrive à inverser la trajectoire du ballon, d’un geste vif et autoritaire, tel un coup de raquette qui renvoie le ballon. Un dénouement hollywoodien, un coup de théâtre qui retentit au milieu de la surface, et tous semblent pendant un moment ne pas réaliser ce qu’il vient de se passer. Enfin, le chaos général reprend le dessus, mais cet instant-là, cette interruption brutale, était harmonie pure. Comme une accalmie en plein milieu de la tempête qui gronde dans la surface. Brutal apaisement.

Fantaisie créatrice
Coupet vs Barca

Le portier doit parfois s’affranchir des sentiers battus pour préserver sa cage. Tel l’artiste qui ose se définir autrement, créer l’inattendu, et nous surprendre de son art, le gardien est amené à aller chercher des solutions là où personne ne les voit. Cette faculté à s’extirper de situations désastreuses, à sauver les meubles lorsque tout semble perdu, reste un mystère. Comme un illusionniste, il provoque l’incompréhension du spectateur ainsi que celle des joueurs. La magie n’est que de l’art incompris après tout. Comble de la magie, le Camp Nou, stade surréaliste où l’illusion est loi.

Quel étrange nom de magicien, Coupet. Quelle brutale entrée en matière surtout, comme si le spectacle ne pouvait attendre. Alors que la moitié du stade cherche encore sa place en tribune, Coupet est pris au dépourvu. Le gardien est en constant éveil, comme sous menace permanente. Un rien peut se transformer en une menace de mort adressée à ses filets. Mais voilà, d’habitude, la mort vient de ses ennemis, de l’adversité. Cette fois-ci, c’est une trahison qui menace la patrie. Une balle lobée, vicieuse et dangereuse, comme un coup de poignard dans le dos. Le portier est un habitué aux coups de poignard, il sait exactement ce qui l’attend en entrant dans l’arène. Mais lorsque le coup de poignard est asséné par l’un des siens, au vice qui le surprend s’ajoute le retrait de ses armes. Comme si l’un ne suffisait pas, on l’oblige alors à s’adonner à un inhabituel combat, où il ne peut user de ses mains. Alors, désisté de son plus bel atout, il se retrouve à nu. Coupet se mue alors en un incroyable acrobate, d’une grâce sans pareille. Une tête plongeante rappelant les plus grands attaquants, qui propulse le ballon vers la transversale.

Le Camp Nou semble muet, comme enchanté par les prouesses de Coupet.  Mais le ballon n’est pas encore mort, et il semble convaincu à condamner le portier français. Rivaldo se présente, et d’un coup de tête piqué, cherche à achever le portier qui gît sur le sol, exténué par ses miracles. Mais le magicien s’accroche à la vie, et en l’espace d’un instant, se retrouve debout, prêt à bondir encore. Un incroyable tour encore, un condensé d’illusion, comme l’apothéose d’un spectacle fantastique. “Le génie est une forme de magie, et le propre de la magie, c’est qu’on ne peut l’expliquer.” disait Margot Fonteyn.

 

Handanovic vs Atalanta

Il y a mille façons de voir un arrêt comme il est mille façons d’interpréter une œuvre d’art. Chaque arrêt est unique, chaque fois qu’il nous est présenté, il nous procure une nouvelle sensation, comme si l’on le redécouvrait encore et encore. L’arrêt est la plume du gardien, qui marque les temps et immortalise à jamais sa renommée. Il est autant d’histoires qu’il est d’hommes, et il est autant d’arrêts qu’il est d’histoires. Il y a des arrêts magnifiques, des arrêts importants, des arrêts autoritaires, et puis il y a l’arrêt d’Handanovic contre l’Atalanta. Non pas le plus beau, non pas le plus important, non pas le plus technique. Rien de tout ça. Mais il émane une inexplicable sensation de cet arrêt. Indéfinissable, mais c’est ce qui fait son charme. Il est dans l’insaisissable un charme inégalé. Comme la beauté d’une inconnue dans la rue, dont le regard pénètre votre cœur.

Handanovic est cette inconnue, ce visage étrange qui vous fait vous sentir différent. Une dégaine irréelle, tout droit sortie d’Olive et Tom. L’abnégation d’un homme, la passion pour protéger son équipe et son but. Un sacrifice de soi sans retenue, s’exposant corps ouvert à la puissante frappe, comme si arrêter ce ballon était l’aboutissement d’une vie. Une allégorie parfaite de ce rôle ingrat où le sacrifice est nécessaire, avec pour seule récompense de voir ce maudit ballon s’éloigner des filets. La façon dont Handanovic se jette est tout simplement sublime, un mur dressé en quelques instants, comme la réalisation de tout ce que l’on voudrait être. Impassable, infranchissable, infaillible. De la beauté de la perfection, atteinte par le portier durant quelques instants, et de la magie de l’arrêt, cet Eldorado réservé à ceux qui ont fait vœu de toujours, nous protéger. À jamais.

 

Lire la 3ème partie ici.

Source de l’image de l’article : “Photo AS.com”

 

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