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23 November 2020


Gardien emblématique du FC Nantes entre 1969 et 1987, Jean-Paul Bertrand Demanes revient sur sa carrière, le FC Nantes, son amour du poste et nous livre quelques anecdotes croustillantes. Aujourd’hui âgé de 68 ans, le joueur le plus capé de l’Histoire des Canaris (532 matchs en championnat) et ancien portier des Bleus (11 sélections) se dévoile dans un entretien riche et passionnant, à consommer sans modération !

Main Opposée : Bonjour Jean-Paul, la famille des gardiens de but a été touchée suite au décès de Bruno Martini. Avez-vous un souvenir particulier de Bruno Martini ?

Jean-Paul Bertrand Demanes : Non, pas en particulier. J’en ai quelques-uns, un journaliste me rappelait que Bruno Martini avait commencé en 1981 à Auxerre, moi j’ai arrêté en 1987. Nous nous sommes affrontés une douzaine de fois au cours desquelles nous nous croisions. Je n’ai pas de souvenir particulier, si ce n’est que sans le connaître je l’appréciai. Il avait une bonne image et c’était un bon gardien, même si le talent n’a rien avoir avec l’appréciation d’un homme, c’est un garçon que j’aimais bien. Je pense que c’est quelqu’un qui faisait l’unanimité dans un vestiaire. C’est quand même malheureux, car 58 ans c’est très jeune.

MO : Pourquoi avez vous choisi le poste de gardien de but ?

JPBD : En ce moment, j’évoque cela dans un livre que j’ai écrit, pour lequel je recherche un éditeur. Je suis né en 1952 au Maroc, je ne me souviens pas d’avoir joué au ballon entre 1952 et 1959. C’est lorsque je suis rentré en France avec mes parents que j’ai commencé à taper dans un ballon. J’ai surtout commencé quand je suis rentré en 6ème au lycée de Talence à Bordeaux. Je ne sais pas pourquoi je me suis mis dans les buts. J’étais interne, au bout de trois mois tous mes copains voulaient que je vienne jouer dans leur club parce que je me débrouillais plutôt bien. J’ai pris goût au poste et j’avais sans doute des facilités pour être performant. Je suis originaire du Médoc et mes copains qui jouaient dans des villages voisins voulaient toujours que je vienne pour disputer les matchs les dimanches. Je n’ai pas joué le dimanche avec eux parce que mon père était conseiller municipal d’un petit village dans le Médoc où il n’y avait rien. Le Maire lui a demandé de créer une équipe de football, j’ai donc rejoint cette équipe avec laquelle j’ai disputé mes premiers matchs le dimanche.

MO : Qu’est-ce qui vous plaisait dans le poste ?

JPBD : Je ne sais plus. Comme je le disais tout à l’heure, c’est sans doute parce que je me débrouillais bien dans les buts. Vous savez, si vous mettez un gamin devant un piano qui ne sait faire que “Do -Ré-Mi-Fa-Sol-La-Si-Do”, il va vite se lasser. En revanche, vous mettez un gamin qui sait jouer quelques morceaux, il va prendre du plaisir car il a quelque chose en plus. Je pense que le fait d’avoir des aptitudes particulières ça m’a plu. Après je suis devenu accro et j’adorais ce poste.

MO : Vous êtes devenu accro parce que vous vous sentiez à l’aise ?

JPBD : Oui, je me sentais à l’aise. J’ai eu aussi la chance d’être repéré par le Conseiller Technique Régional (CTR) de la Ligue du Sud Ouest lorsque je jouais au Médoc. Il m’avait demandé de venir jouer dans son club à Pauillac (Gironde), j’ai accepté. Il a certainement senti que j’avais des qualités au-dessus de la moyenne parce qu’il est parvenu à négocier avec le proviseur de mon lycée. Au lycée de Talence, j’étais interne donc je n’avais pas le droit de sortir, seuls les internes scolarisés en 3ème y étaient autorisés. Le CTR s’est arrangé avec le proviseur pour que je m’entraîne les jeudis après-midi. Il venait me chercher au lycée et il me faisait des séances spécifiques au CREPS de Talence. Il m’a donné goût au poste.

MO : Vous êtes formé à Pauillac (Gironde) et vous signez votre contrat avec le FC Nantes en 1969, pouvez-vous nous raconter votre arrivée sur les bords de l’Erdre ?

JPBD : Je suis avec l’équipe de France juniors et nous disputons un match en lever de rideau de l’équipe de France A face à la Suède. La rencontre se déroulait dans l’ancien Parc des Princes. Cette partie était primordiale. Le sélectionneur de l’époque devait déterminer quels joueurs allaient participer au tournoi UEFA juniors. Lors de cette rencontre, j’avais été très bon. J’avais réalisé une très bonne première période, Dominique Dropsy m’avait remplacé à la mi-temps. Au même moment, Nantes n’avait plus de gardien : Eon, Castel et Fouché étaient tous blessés. Ils avaient joué avec le quatrième gardien à Sedan, pour lequel cela ne s’est pas bien passé. Le club avait besoin d’un gardien. Je l’ai su après, mais les dirigeants avaient discuté avec Guy Delhumeau, gardien de l’équipe de France amateur qui jouait à Poitiers mais il ne voulait pas quitter les rangs amateurs. Le FC Nantes avait également rencontré Dominique Dropsy, mais ses parents avaient refusé car ils voulaient que leur fils passe son bac. Henri Michel et Bernard Blanchet étaient en équipe de France A, ils m’avaient vu jouer lors de cette fameuse rencontre en lever de rideau. Ils ont glissé mon nom au président et le club m’a contacté. J’ai signé à Nantes le lundi, le mercredi je jouais contre l’Olympique de Marseille.

Rétro FC Nantes : Jean-Paul Bertrand Demasnes sur MopNantes
Jean-Paul Bertrand Demanes à la relance (source : mopnantes.fr)

MO : Vous disputez donc votre premier match face à l’OM…

JPBD : Oui, le premier but que je prends en professionnel est inscrit par Joseph (attaquant de l’OM de 1962 à 1970). On gagne le match 2-1, je fais plutôt un bon match. Je suis de nouveau titulaire le match suivant face à Sochaux. Le match a été arrêté à Sochaux à cause d’une tempête. C’était infernal, j’avais le vent dans la figure, les bourrasques étaient telles que les frappes des 30 mètres arrivaient comme des boulets de canon. J’avais tout arrêté. À l’heure de jeu, l’arbitre décide d’arrêter la partie. Pourquoi l’avoir interrompu après 60 minutes ? Parce que le règlement de l’époque stipulait que si une rencontre était stoppée avant 60 minutes, les supporters devaient être remboursés. Après une heure de jeu, on ne remboursait pas les spectateurs. À Sochaux, l’arbitre a arrêté le match car c’était injouable. J’ai rejoué en décembre à la fin des matchs aller face à Rouen. Ensuite, je suis retourné avec l’équipe B en troisième division. Au mois de mai, avec l’équipe de France Juniors, je dispute le tournoi UEFA organisé en Écosse. Nous sommes éliminés en demi-finale à la pièce ! Pourtant je n’avais pas encaissé un but de tout le tournoi ! Après avoir terminé troisième, je rentre à Nantes avec Bernard Gardon et Claude Arribas qui étaient eux aussi en sélection. À la gare, je croise José Arribas qui me dit de prendre mon sac puisque je dois rejoindre l’équipe à Nîmes. Il me confie que je pourrais jouer la finale de la Coupe de France 1970 face à Saint-Étienne. Je joue à Nîmes en championnat, nous perdons 4-2, nous remontons immédiatement à Paris pour préparer la finale. Je dis souvent, si j’avais joué cette finale, peut-être que je n’aurais pas eu la même carrière. Fouché joue la finale et prend cinq buts, ce n’était pas de sa faute puisque Saint-Étienne était largement au-dessus de nous. Mais si à 17 ans j’avais joué ce match, qui plus est, l’un des seuls à être diffusé à la télévision à l’époque, j’en aurai peut-être pris cinq, voire plus. Je n’aurai pas eu la même carrière, comme quoi, ça ne se joue pas à grand-chose.

MO : À Nantes vous avez connu José Arribas, Jean Vincent, Jean-Claude Suaudeau qui ont laissé une empreinte au club. En tant que gardien de but, que vous ont apporté ces trois entraîneurs ?

JPBD : Dans le staff, il n’y avait pas d’ancien gardien qui s’occupait exclusivement de la préparation spécifique des gardiens de but. Monsieur Zaetta nous entraînait avec compétence, bien qu’il n’a jamais été gardien. Pour en revenir aux entraîneurs, j’ai eu la chance d’avoir trois éducateurs exceptionnels. Quand je suis arrivé à Nantes, j’étais amateur, donc c’ est Jean-Claude Suaudeau qui était en charge de l’équipe réserve. Après, quand j’ai signé pro, Nantes a fait signer un deuxième gardien expérimenté, René Donoyan. Il m’a donné beaucoup de conseils mais en tant que gardien de but, je me suis « formé tout seul ». Il n’y avait pas d’entraîneurs de gardiens spécifiques à cette époque.

MO : Parmi ces trois entraîneurs, aviez-vous une préférence ?

JPBD : Non pas du tout. J’ai du respect pour tous les trois, je les ai apprécié à leur juste valeur. José Arribas, c’était un personnage du football. Jean Vincent, c’était un caractère joyeux qui contrastait avec l’anxiété de Coco Suaudeau. Jean-Claude Suaudeau, c’était un perfectionniste tandis que Jean Vincent s’attachait à la gagne. Pour résumer, j’ai eu trois entraîneurs exceptionnels.

MO : Sans spécifique, vous participiez donc à la séance collective…

JPBD : Exactement. Généralement, on faisait l’entraînement comme tout le monde. Après la séance, on restait avec Monsieur Zaetta pour faire quelques exercices où on travaillait les sorties aériennes, etc… Mais grosso modo, les entraînements, c’était les exercices de frappes puisque les séances spécifiques n’existaient pas. À la fin, on a commencé à avoir des séances spécifiques mais c’était empirique. Par exemple, moi j’étais grand donc on me faisait travailler l’explosivité. C’était une adaptation par rapport à ma morphologie.

MO : Vous êtes surnommé “le grand” de par votre taille (1m92), appréciez-vous ce surnom ?

JPBD : Oui, ce surnom ne me dérangeait pas. C’est un surnom comme les autres. À Pauillac, on m’appelait « Grand Canard ». Quand je suis arrivé à Nantes, “Canard” est parti. On m’aurait surnommé le petit, ça aurait été pareil. Mon père m’a toujours appelé “Petit”, il disait à ma mère : « allez, on va voir jouer le petit ».

MO : Vous avez gardé les cages du FC Nantes pendant 18 ans, vous êtes le joueur le plus capé du club en D1 (532 rencontres), vous avez remporté  de nombreux titres. Avez-vous conscience d’avoir marqué l’Histoire du club nantais ?

JPBD : Non, je n’en prends pas conscience. Généralement, ce sont les gens qui me disent : «  Tu es quand même le joueur le plus capé du FC Nantes ! ». Avec Henri (Michel), nous sommes les joueurs les plus capés du club. Je crois que j’ai le plus grand nombre de matchs officiels avec 650 et quelques matchs. À l’époque, les joueurs du FC Nantes étaient très connus dans la ville, parce que tout d’abord, nous restions assez longtemps dans le club, puis nous avions d’excellents résultats. Aujourd’hui, quand je me balade en ville, on ne parle plus du club. Quand je jouais, nous étions reconnus dans la rue. Actuellement, je ne suis pas certain que les joueurs soient reconnus. Pour moi, il n’y a qu’un seul joueur qui a marqué l’Histoire du FC Nantes, c’est Henri Michel. Pour les autres, nous étions des petites vedettes locales parce qu’on savait un peu mieux jouer que la moyenne. Pas un joueur n’arrive à la cheville d’Henri, tant au niveau de son aura ou bien de ce qu’il a représenté pour le club.

Henri, je croyais qu'il était immortel » / France / Disparition de Henri Michel / 24 avril 2018 / SOFOOT.com
Jean-Paul Bertrand Demanes aux côtés de son ami Henri Michel (source : Sofoot.com)

MO : Ce qui impressionne, c’est votre longévité d’autant plus que le FC Nantes disputait constamment le titre…

JPBD : Oui, j’aurai pu jouer trois saisons de plus puisque j’avais prolongé de trois années. Malheureusement, je me suis pété le tendon d’Achille le jour du premier match de mon nouveau contrat. Si j’avais été bon, j’aurai certainement joué trois saisons supplémentaires. J’ai commencé très jeune dans les cages. À l’époque, c’était rare qu’on titularise un jeune gardien. Quand je reviens sur ma carrière, je pense que j’ai bien fait mon métier. Je ne me suis jamais interdit de boire un coup de temps en temps ou d’aller au resto. Pour autant, j’ai toujours été sérieux, cela m’a sans doute permis d’avoir une carrière assez longue.

MO : Pour être aussi régulier sur une aussi longue période, il faut un sacré mental n’est-ce pas ? 

JPBD : Sans doute, oui. Vous savez, j’ai eu un cancer en 2010, les médecins m’ont dit que ça se voyait que j’ai été un sportif de haut niveau. J’avais un cancer stade 4, vous pouvez chercher, il n’y en a pas au-dessus. J’ai reçu un traitement de cheval, mon mental m’a certainement fait tenir. A posteriori, les docteurs m’ont dit qu’une personne sans la même force mentale que moi n’aurait certainement pas supporté le traitement. Pourtant, ils (les médecins) m’ont mis HS. J’ai eu neuf semaines de chimio puis de la radiothérapie. Ce mental, c’est celui que je me suis construis dès le plus jeune âge. Notamment lors des entraînements au CREPS de Talence où je vomissais lors des séances spécifiques. Être gardien de but, ce n’est pas fatiguant physiquement en match. C’est dur nerveusement, mais physiquement ce n’est pas dur. En revanche, lorsqu’on fait un véritable spécifique, c’est l’entraînement le plus dur qui soit. C’est plus dur que l’entraînement de l’attaquant.

MO : Je partage votre avis…

JPBD : (Il coupe) Vous savez, avec Monsieur Zaetta, on faisait des séances délicates. Sous l’impulsion de Coco Suaudeau, on faisait des séries où l’on se mettait en face de filets tendus. On ne voyait pas le départ du ballon, il tirait sur le filet qui renvoyait le ballon. Ça allait très vite et on enchaînait ces séries sur des séquences de trois-quatre minutes. Lorsque nous finissions, le cœur était à 220 pulsations minutes (rires).

MO : Avec le FC Nantes, vous restez invaincus à domicile entre 1976 et 1982. Vous sentiez-vous plus intouchable lorsque vous jouiez à Saupin ?

JPBD : Oui, tout à fait ! Des fois je dis ça en rigolant, mais on a démonté quelques équipes ! Je vais vous raconter une anecdote. Une année lorsqu’il y a eu la grève*, on avait joué Nice à trois ou quatre reprises. Nantes était l’un des seuls clubs à avoir joué lors de cette grève, mais nous avons rejoué cette rencontre face à Nice. À Nice, il y avait Dominique Baratelli que je croisais en équipe de France espoirs, puis en A. Il me dit : « Je ne viens plus à Nantes ! ». En fait, il prenait une valise à chaque fois. Il s’était pris 5-0, deux fois 4-0 et un 6-0 il me semble. Pourtant, Nice avait une bonne équipe à l’époque. À la fin du match, je disais en rigolant : « Pourquoi je me suis changé ? ». Parfois je ne voyais pas le ballon de la rencontre, par contre quand le match était serré, il fallait faire l’arrêt décisif au bon moment. Quand on jouait à Saupin, on avait le sentiment qu’on allait gagner. En fait, on ne se posait pas de questions puisqu’on déroulait notre football.

Épinglé sur FC NANTES
Jean-Paul Bertrand Demanes en belle compagnie (source : pinterest.fr)

MO : Que retenez-vous de votre carrière à Nantes ?

JPBD : Le plaisir. Même si au début on n’avait pas la Jonelière (inaugurée en 1978), on avait des bons terrains. J’ai eu aussi la chance de débuter aux côtés de Bernard Blanchet, Henri Michel, Roger Lemerre, Angel Marcos, Angel Bargas… bref, une superbe équipe. Plaisir, parce que les entraînements avec Arribas, Vincent et Suaudeau étaient tous intéressants. Je me considère comme un grand privilégié. Je n’ai jamais travaillé de ma vie. Quand j’ai joué au foot ce n’était pas un travail, c’était un plaisir. Lorsque je me suis reconverti dans les affaires, c’était également un plaisir.

MO : Pourquoi avez-vous décidé d’effectuer toute votre carrière à Nantes ?

JPBD : J’ai eu quelques contacts, même si il y avait peu de transfert de gardiens de buts. Pour l’époque, j’avais un très bon salaire à Nantes, on me proposait de gagner 10 000 francs de plus par mois. Si on m’avait doublé voire triplé mon salaire, peut-être que je serais parti de Nantes. Mais bon, à Nantes on gagnait deux matchs, je récupérais mes 10 000 francs, donc je ne voyais pas l’intérêt de partir. Puis, j’ai toujours pensé à l’avenir. À la fin de votre carrière, il faut s’installer quelque part, il faut donc se reconvertir. Pour moi, rester dans le même club, c’est également s’inscrire dans le tissu social de la ville. Pour ma reconversion, je me suis servi de mon tissu relationnel pour me construire un carnet d’adresses. Je ne regrette pas du tout d’être resté à Nantes. C’est une ville agréable.

MO : En juillet 1980, vous avez affronté Bob Marley dans un match de foot à la Jonelière. Pouvez-vous nous raconter ce moment ?

JPBD : Bob Marley venait de faire un concert à Nantes et c’est un malade de football. Donc, il a certainement appelé Bud (Robert Budzynski, directeur sportif du FC Nantes de 1970 à 2005) pour qu’il puisse jouer avec nous. Bob Marley est arrivé avec ses musiciens et après notre entraînement, on a fait un 4 contre 4. Je jouais dans le champ. On s’est rendu compte que c’était un bon footballeur. Avec Saint-Étienne, nous étions les deux grands clubs français. À Nantes, il y avait des gens du show-biz qui venaient parfois jouer avec nous, mais eux c’était des musiciens ou des chanteurs, pas des footballeurs. Alors que Bob Marley, en plus d’avoir révolutionné la musique avec le reggae, c’était un très bon footballeur. On a joué pendant 45 minutes. Je me souviens, nous sommes allés dans son bus où il nous a remis un album dédicacé. Dans le bus, il y avait des musiciens qui n’avaient pas joué. Ils étaient en train de fumer, mais c’était pas des gauloises (rires) ! C’est comme les sketchs de Coluche, c’était des gros pétards. Ça sentait pas la gitane, il était 11 heures du matin (rires). C’était un très bon souvenir, d’autant plus que j’ai été surpris puisque Bob Marley jouait très bien.

En juillet 1980, il jouait avec le FC Nantes
Alors au duel avec Gilles Rampillon, Bob Marley porte le fameux maillot Europe 1 du FC Nantes. (source : Ouest-France)

MO : Grâce à vos performances sous le maillot jaune et vert, vous êtes sélectionné en équipe de France avec laquelle vous disputez la Coupe du Monde 1978. Quels sont vos souvenirs du mondial argentin ?

JPBD : C’est un très bon souvenir. Remettons-nous dans le contexte. En 1978, la dernière coupe du Monde de la France remontait à 1966. Quand nous nous sommes qualifiés en 1978, on avait atteint le Graal. En Argentine, c’était un peu la Croisière s’amuse. Il y avait les femmes des dirigeants qui étaient dans le bus avec nous. Je me souviens, en revenant de l’entraînement, nous passons dans le centre ville. Nous les joueurs étions en sueur, on voulait prendre notre douche à l’hôtel, sauf que les femmes des présidents de la Fédération et de la Ligue voulaient que le bus s’arrête en centre ville pour faire les magasins. Alors nous attendions dans le bus pendant qu’elles revenaient avec des sacs, c’était un peu le folklore ! Sportivement, ça n’a pas été une grande réussite, mais il faut rappeler que notre groupe n’était pas du tout facile (Argentine, Italie, Hongrie, France). L’Italie de 1978, c’était l’une des meilleures, si ce n’est la meilleure équipe du monde, l’Argentine c’était le pays hôte, donc se qualifier n’était pas chose aisée. On perd 2-1 face à l’Italie. Contre l’Argentine, il me semble que je me blesse sur un tir de Luque, je n’ai pas vu la fin du match. Face à la Hongrie, c’est Dropsy qui a joué. Le souvenir qui me l’a plus marqué, c’est notre entrée sur le terrain face à l’Argentine au Monumental, le stade de River Plate. Les vestiaires sont sous le terrain. D’ailleurs on avait pas eu le droit de voir le terrain avant le match. Pour arriver sur la pelouse, il fallait emprunter des escaliers qui arrivaient à hauteur du terrain. L’escalier était bouché par une grande plaque métallique. Nous étions dans un endroit zoné où on ne voyait rien mais il y avait un bruit d’enfer. Quand ils ont enlevé la plaque, il y avait 70 000 ou 80 000 personnes qui scandaient « Argentina ! Argentina ! Argentina ! » et jetaient des rouleaux de papier toilette sur la pelouse. C’était impressionnant puisque quand on montait les escaliers, on ne voyait pas le ciel mais un mur de spectateurs. Le bruit était affolant. C’est ce qui m’a marqué le plus.

MO : Au cours de votre carrière, admiriez-vous des gardiens ? Si oui, lesquels ?

JPBD : Oui, il y en a plusieurs. Avant la coupe du Monde 1974, la France affrontait la RFA à Gelsenkirchen. J’étais sur le banc puisque Baratelli était titulaire. En face, il y avait Sepp Maier, un gardien que j’adorais. Je me souviens avec l’équipe de France juniors on avait joué à Bilbao. Après notre séance, l’équipe de Bilbao est venue s’entraîner sur le terrain. Dans les cages, il y avait José Angel Irribar, qui était vêtu de noir, il était phénoménal. Parmi les gardiens que j’avais affronté, il y avait Walter Zenga de l’Inter Milan qui m’avait impressionné. Avec le FC Nantes, on avait aussi joué le Dynamo de Moscou de Rinat Dasaev. Lui aussi il était très fort. Il a connu une période délicate lorsqu’il est parti en Espagne, mais quand il jouait en Russie c’était pas mal. Il y a un autre gardien qui m’a impressionné, mais lui c’était pour sa faculté à boire de la vodka ! C’était le gardien de la Pologne, Jan Tomaszewski. Après le match face à la Pologne, un dîner était organisé entre les deux sélections. On avait sympathisé, Tomaszewski avait dévalisé mon sac parce qu’il n’avait rien ! Il m’avait pris mes chaussettes, mes chaussures et mes gants. Pour me remercier, il m’a invité à boire un coup. Moi j’ai bu trois verres de vodka mais lui, il a bu trois bouteilles ! Incroyable ! Je n’avais jamais vu ça ! Je ne sais plus si on avait gagné en Pologne, mais ma rencontre avec Tomaszewski est inoubliable ! J’ai une autre histoire à vous raconter. Lors de la Coupe du Monde 1978, on logeait dans une sorte de centre sportif, un centre que nous partagions avec l’équipe d’Italie. Avant notre match contre l’Italie, j’avais joué au billard avec les Italiens et notamment Dino Zoff. Il m’avait donné son maillot, donc à Nantes je portais souvent le maillot de Dino Zoff.

MO : Quel regard portez vous aujourd’hui sur les gardiens de but ?

JPBD : Je ne regarde pas spécialement les gardiens de but. Il paraît que les ballons d’aujourd’hui ne sont plus du tout les mêmes que les nôtres. On le voit à la télé, grosso modo le ballon part à ras de terre et termine à 1 mètre 50 de hauteur. À l’heure actuelle, j’ai le sentiment que les ballons sont très légers. Au cours de ma carrière, les ballons pouvaient faire des effets mais les courbes étaient régulières. Aujourd’hui, les ballons flottent et les trajectoires sont assez aléatoires. Les gardiens ne font plus assez d’effort pour bloquer les ballons, ils préfèrent les repousser. Je trouve cela dangereux car on peut offrir une seconde chance à l’adversaire, mais je ferais peut-être la même chose aujourd’hui tant les ballons sont flottants. Lorsque je jouais, on nous demandait de beaucoup sortir, même au-delà de nos six mètres. Actuellement, les gardiens prennent moins de risque dans leurs sorties. Il est vrai que maintenant ils ont des défenseurs qui mesurent minimum 1m90, cela facilite peut-être les choses. Pour moi, Bernard Lama a été le dernier gardien a avoir été aussi aérien dans ses sorties. Fondamentalement, le jeu a évolué, particulièrement le jeu au pied. Maintenant, les gardiens sont très complets.

MO : Auriez-vous aimé être gardien de but en 2020 ?

JPBD : Oui, bien sûr. Déjà, j’aurai pas 68 ans mais 28 ans ! (rires) Blague à part, oui j’aurai aimé être gardien aujourd’hui car j’adore le poste. Ça fait peut-être vieux con, mais ce qui me gêne dans le football actuellement, c’est son ambiance. Si j’avais été international en 2020, je serais certainement très bien payé.

MO : Quel regard portez-vous sur le FC Nantes aujourd’hui ?

JPBD : Je vais aller à la Beaujoire ce samedi (31 octobre) pour inaugurer la statue d’Henri Michel à la Beaujoire. Si j’ai eu un ami dans le football, c’est bien Henri. On avait mangé ensemble deux mois avant son décès, donc je vais aller au match. La dernière fois que j’y suis allé, c’était il y a deux ans. J’y suis venu deux semaines consécutives avec les 75 ans du club (Nantes-Rennes), puis l’hommage à Henri Michel (Nantes -Montpellier). Je ne sais pas qui joue à Nantes aujourd’hui, donc je ne peux pas vous dire grand-chose sur cette équipe.

Les Pénos de MO - J’en Paul Bertrand Demanes Gardien de but FC Nantes

MO : Quel est votre plus bel arrêt ?

JPBD : Mon plus bel arrêt ? (Il hésite) Alors ce n’est pas le plus beau mais le plus symbolique. À un degré moindre, c’est un peu Gordon Banks face à Pelé. C’était un coup franc à Saint-Étienne tiré par Platini au ras du poteau. Il avait commencé à lever les bras mais il les a vite rabaissé. Mais je crois que mon plus bel arrêt c’était en Coupe de France au stade Municipal de Bordeaux, devant mes parents. On avait fait 0-0 et j’avais fait un match exceptionnel dont un magnifique arrêt en pleine lucarne. J’ai pris quelques buts cons, mais j’ai également fait quelques arrêts ! (rires)

MO : Quel est votre meilleur souvenir  sur un terrain ?

JPBD : Je ne sais pas. Peut-être le plaisir ou le fait de jouer devant des stades pleins, la Marseillaise au Parc des Princes lorsque je jouais avec les Bleus… Bref, des émotions exceptionnelles.

MO : Votre gardien de but  préféré ?

JPBD : Lev Yachine ! Quand j’ai commencé, j’ai essayé de jouer en noir comme lui parce que c’était mon idole mais, à mon époque, tous les arbitres étaient habillés en noir. Lorsque j’étais gamin et que je le voyais jouer, c’était magnifique.

MO : Votre meilleur coéquipier ?

JPBD : Henri Michel. S’il jouait aujourd’hui, il jouerai au Real Madrid, au Barça, à Manchester United… C’était la grande classe ! Il y a un joueur qui me fait un peu penser à lui, c’est Luka Modric. Henri c’était un super jouer, c’était un phénomène.

MO : Stade Marcel Saupin ou Stade de La Beaujoire ?

JPBD : Pour les émotions, je suis obligé de dire Saupin. Je me rappelle lorsqu’on arrivait de Bordeaux en train, on voyait Saupin à droite. Lors de mon arrivée à Nantes le 3 novembre 1969 aux côtés de ma mère, j’ai encore l’image du toit arrondi du stade. La Beaujoire, j’aimais moins parce que le public était loin du terrain alors qu’à Saupin, les spectateurs étaient derrière vous. Je n’avais pas mes repères dans ce stade, je ne me sentais pas à l’aise. Par exemple, même si l’ambiance était forte, j’aimais bien aller jouer à Saint-Étienne. Le public était près de nous, personnellement je me situais mieux dans le but dans ces stades à l’anglaise.

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* En 1972, les footballeurs français défendent « le contrat à durée librement déterminée ». Un contrat instauré en 1969 qui ne plaît pas aux dirigeants qui souhaitent revenir sur cette décision. Les joueurs de l’Olympique Lyonnais avec Raymond Domenech à sa tête assistent au Congrès de l’UNFP à Versailles malgré l’interdiction du club. Les joueurs sont suspendus et la grève générale commence. Le ministre des Sports, Joseph Comiti, intervient et donne gain de cause aux joueurs qui obtiendront la rédaction de la charte du football professionnel l’année suivante.

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Photo de couverture : Twitter UNFP

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