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31 July 2021


Suite de notre entretien avec la nouvelle gardienne du Real Madrid, Méline Gérard. Dans cette deuxième partie, l’internationale française revient sur son amour du poste et analyse les spécificités de celui-ci.

Main Opposée : Comment as-tu commencé dans les buts ?

Méline Gérard : C’est venu un peu de mon frère car on jouait au foot ensemble et comme il voulait toujours tirer, j’allais dans la cage. Dans la cour de récré, je jouais aussi avec les garçons et je n’étais pas forcément attirée par le fait de marquer ou de me mettre en avant. Je n’aimais pas avoir le ballon aussi car tout le monde te regardait (rires). Pourtant, j’ai commencé ma première année sur le terrain mais dès que j’avais le ballon, je faisais une passe donc je me suis rendu compte que je n’étais pas à ma place. Je me suis vite dirigée vers ce poste de gardien de but et j’étais assez fan de Fabien Barthez à l’époque.

Qu’est-ce que tu aimes dans le poste ?

J’aime bien le côté solitaire (rires). J’aime être à part et être le dernier rempart. Tu ne mets pas le but et le célèbres non, toi tu essayes de ruiner les attaques adverses. J’adore les moments où tout le monde attend le but et finalement tu anéantis les espoirs adverses ! J’aime utiliser mes mains parce que quand j’ai commencé le foot, mon atout premier, ce n’était pas le jeu au pied. J’apprécie d’avoir le jeu devant moi, de tout voir et de diriger.

Quelles sont tes qualités et les points sur lesquels tu peux encore t’améliorer ? Comment te décrirais-tu comme gardienne de but ?

Je pense que je suis assez complète. Mes plus grandes qualités sont le jeu au pied – surtout depuis que je suis en Espagne -, ma lecture de jeu, ma gestion de la profondeur et les ballons aériens. Tu peux toujours t’améliorer sur tous les points. Je peux encore faire plus dans le domaine athlétique même si j’ai progressé en Espagne. Et aussi mon pied gauche qui est juste utile (rires).

Le jeu au pied a-t-il une place plus importante en Espagne ?

Si je fais la généralité de mon parcours en France oui, même si Lyon c’est similaire à l’Espagne. Ici, la gardienne est au centre du jeu, je pense même que c’est l’élément principal. En Espagne, ils sont très penchés sur la tactique avec la nouvelle règle sur les 6 mètres. On est au cœur de toutes les relances et de toutes les sorties de balle. Oui, je suis vraiment une joueuse dans le onze alors qu’en France, dans certains clubs, je n’intervenais pas sur la tactique. Lors de certains entraînements, on te demandait de dégager le plus loin possible. En Espagne, tu es vraiment intégrée et tu es vraiment une pièce maîtresse. D’ailleurs, en Espagne toutes les gardiennes ont un très bon jeu au pied.

Concrètement à l’entraînement, quand vous travaillez les sorties de balle, c’est toi qui initie le circuit de passes ?

On fait beaucoup de tactique avec les coups de pied arrêtés, notamment les 6 mètres. On travaille beaucoup les stratégies sur ces situations. Dès qu’on fait un circuit technique, très souvent c’est moi qui initie le jeu. Tous les jours, avec mon entraîneur de gardiens, j’ai des gammes pied.

Méline Gérard (Bétis Séville) rêverait d'entraîner l'OL un jour – Le Sport au Féminin
Méline Gérard sous le maillot du Bétis Séville (lesportauféminin.fr)

Lors des spécifiques, il y a plus de jeu au pied en Espagne qu’en France ?

Pas forcément. C’est surtout lors des séances collectives où la gardienne est plus intégrée qu’en France. Je ne te parle pas de l’OL car la gardienne est très importante mais dans les autres clubs, on ne m’intégrait pas à la tactique.

“En Espagne, ils sont plus précis sur la position du gardien de but”

Quel exercice tu préfères lors d’un spécifique ?

Je pense que ce que je préfère, c’est le jeu au pied. J’aime les jeux où il y a du challenge, de la compétition. J’adore faire des jeux mi-distance, travailler la volée ou encore la demi-volée.

Peux-tu nous décrire une journée typique d’une joueuse pro ?

On arrive à l’entraînement à 10h, on a une demi-heure de vidéo, ensuite gymnase et salle de muscu entre 30 et 45 minutes environ. Après, on s’entraîne en général une heure et demie. Pour finir, il y a les soins ou même avant pour les blessées. Après je suis tranquille, j’ai mon après-midi.

Individuellement, tu travailles aussi avec la vidéo ?

C’est quelque chose que je ne faisais pas en France hormis à l’OL. Au Bétis, je le fais régulièrement avec mon entraîneur des gardiens. Cela nous arrive parfois de filmer l’entraînement. Il me les envoie pour que je puisse voir comment je me comporte et les points sur lesquels je dois progresser. Les matchs sont filmés donc je les regarde en entier, puis je regarde ce match avec mon entraîneur qui a uniquement gardé les séquences où j’interviens. On débriefe mes interventions, mes choix et mes parades. En Espagne, ils sont plus précis sur la position du gardien de but, ils donnent plus de repères, ils sont plus pointilleux. Franchement, je ne pensais pas apprendre autant sur mon poste au Bétis. J’ai été scotchée, car j’ai eu trois entraîneurs des gardiens au Bétis et les trois m’ont énormément apporté.

Quand tu parles de position, c’est l’orientation de ton corps dans l’espace ou bien ton positionnement sur le terrain ?

Plutôt ma position par rapport au ballon puis par rapport au bloc. En France, on te dit « il faut que tu sois haut » mais en fait tu ne comprends rien et ce n’est pas clair. En Espagne, ils te donnent des repères, ils sont très pointilleux, ils te limitent le terrain avec des zones…. Ils sont plus précis sur plein de choses comme les centres, la gestion de la profondeur ou bien les ballons aériens.

Méline Gerard, en contra de reanudar la competición
Méline s’interpose dans sa surface (pt.besoccer.com)

Tu en as parlé tout à l’heure, tu as connu une blessure à Montpellier. Comment fait-on pour s’en « relever » mentalement ?

Tout dépend de toi et de ta tête. Ce que j’ai vécu à Montpellier c’était difficile, mais dans ma carrière j’ai connu tellement de haut et de bas que j’ai souvent eu l’habitude de remonter la pente. Il faut d’abord savoir où tu veux aller et ce que tu veux faire. Si tu n’as pas d’objectif précis, ça va être difficile de te relever. Il faut travailler et être persévérant. Je suis quelqu’un de très obstinée, de très persévérante et je suis une compétitrice. Déjà, je n’étais pas prête à arrêter ma carrière, il fallait que je sois patiente et que je me remette au travail. Cette blessure m’a beaucoup aidée. Quand tu te blesses, ce n’est jamais par hasard. Quand tu es sportive de haut niveau, tu as deux choix : soit tu t’apitoyes sur ton sort, soit tu te dis que tu vas t’en servir comme une force. C’est ce que j’ai fait. Mes blessures ou mes erreurs m’ont fait plus progresser que mes trophées parce que tu te remets en question. Personnellement, je me suis demandé pourquoi j’en étais arrivée là. Il ne faut pas croire que les blessures arrivent du jour au lendemain, c’est justement parce que tu as fait des choses qui n’étaient pas forcément bonnes pour toi.

En rejoignant l’Espagne tu découvres un nouveau pays, donc une nouvelle langue. On sait que pour notre poste la communication est primordiale. Comment t’es-tu adaptée à cette nouvelle donne ? Est-ce que tu parlais espagnol avant d’arriver au Bétis ?

Je parlais très très peu espagnol. Je baragouinais avec quelques souvenirs du collège et du lycée donc j’étais loin d’être bilingue (rires). Je me souviens que j’avais envoyé un message à Élise Bussaglia à l’époque et je lui avais écrit : « dis moi les mots de base en espagnol » (rires). Je voulais savoir comment on dit « ça vient », « t’es seule », « je suis là » pour que je sache au moins le B.A – BA. Dans le foot, tu n’as pas besoin d’être bilingue pour te faire comprendre. J’ai commencé comme ça, puis après j’ai fait l’effort. C’était aussi le but quand je suis venue ici en Espagne, d’apprendre une nouvelle langue. Je mettais la télé en espagnol et je traduisais des chansons. Aujourd’hui, je ne parle pas couramment l’espagnol, mais je suis capable de tenir une conversation.

“Les gardiennes sont affûtées, elles sont grandes c’est quand même autre chose qu’il y a quelques années”

Est-ce que tu t’inspires d’autres gardiennes pour progresser ?

Pas du tout. Je n’ai jamais fait ça. Je ne me suis jamais comparée aux autres gardiennes. D’abord, parce que je n’ai pas du tout le même profil que les autres gardiennes. J’apprécie beaucoup les gardiennes du championnat espagnol. Elles m’ont surprises, j’ai été scotché du niveau, je ne m’attendais pas à ça. Je les trouve plus complètes que ce que j’avais vu en France. J’apprécie les prestations qu’elles font, mais je ne me compare pas du tout.

Quelles gardiennes t’ont impressionnées lorsque tu les as rencontrées?

Pas impressionnée parce que quand tu as été bercé par le foot masculin toute ta vie en terme athlétique, les gardiennes ce n’est pas pareil que les gardiens. Je me souviens de mon premier match en D1 avec le PSG, je jouais contre Montpellier. À l’époque, je m’étais dit que Céline Deville, c’était vraiment une machine. Il y avait n’importe quel ballon aérien dans la surface, elle le choppait !

Quand j’étais à l’OL Sarah Bouhaddi m’a beaucoup appris et elle m’a surpris dans le bon sens par sa constance. Je l’ai rarement vu se trouer plusieurs fois à l’entraînement. Elle ne passait jamais à travers, même si bien évidemment ça lui arrivait de faire des erreurs comme tout le monde. Ça arrivait ponctuellement mais pas tout le temps.

Quand j’étais à Montpellier, il y avait Casey Murphy qui était venue titiller ma place. Globalement, je ne trouve pas que c’est une gardienne très complète, ar contre athlétiquement elle m’a scotché, c’est une machine ! C’est une gardien américaine, ça ne m’a pas surpris mais sur cet aspect là c’est une machine. Elle sautait haut, elle était gainée comme pas possible, elle avait un jeu au pied, ses cuisses faisaient le double des miennes et elle te faisait des 6 mètres à l’autre bout du terrain ! Oui elle était grande (1m85) et elle faisait des parades, mais c’est aussi parce qu’elle poussait sur ses jambes. C’est dommage que sur le plan de la lecture du jeu ou de la compréhension du jeu c’était moyen, mais athlétiquement c’était quelque chose. Je pense que sur le plan athlétique, c’est la gardienne qui m’a le plus impressionnée. Depuis le début de ma carrière, je pense que c’est Sarah qui avait un gros niveau car c’était général et elle est complète. J’ai parlé des gardiennes dont j’ai pu me faire un avis car je les ai côtoyées. En France, les gardiennes sont peu médiatisées et on voit peu de matchs, donc je ne peux pas avoir un avis.

Lorsqu’on parle du foot féminin (notamment de la Coupe du Monde 2019), on revient sur le poste de gardienne de but qui est critiqué. Penses-tu que celles-ci sont justifiées ?

Oui, c’est normal. Il y a quelques années, tu frappais de 40 mètres sous la barre, ça faisait but. Il y avait un retard sur le plan athlétique. Le poste a toujours été correct mais l’aspect athlétique a toujours été le point faible. Au niveau de la puissance c’était pas bon, des plongeons, des sauts aussi. Dès qu’il y avait un ballon aérien un peu loin, ça ne sortait pas, ça ne plongeait pas, c’est ça qu’on critiquait beaucoup. Les gens critiquaient en général, moi je parle du fait qu’il y avait une grosse marge de progression à avoir sur l’aspect athlétique. C’est ce qui s’est passé, le niveau des gardiennes a complètement changé. Maintenant il est beaucoup plus au niveau parce que le facteur qui a le plus évolué, c’est l’aspect athlétique. Avant les gardiennes, elles étaient bonnes : la lecture de jeu, elles étaient techniquement très intéressantes mais le bémol a toujours été l’aspect athlétique. Désormais, les gardiennes sont affûtées, elles sont grandes c’est quand même autre chose qu’il y a quelques années.

Tu penses qu’il y a eu une prise de conscience sur l’aspect athlétique ou la taille au niveau de la formation ?

Je pense que la fédération fait davantage attention par rapport au poste. Ils ont beaucoup plus de critères athlétiques qu’avant. Franchement, maintenant je suis quasiment sûre qu’ils prennent pas sous une certaine taille. Je trouve ça dommage parce que personnellement en Espagne la taille n’a aucune importance. Je crois que je suis l’une des plus grandes gardiennes en Espagne. Ils font attention à la taille, mais je pense surtout qu’il y a eu une prise de conscience chez les entraîneurs de gardiens et des gardiennes du fait que l’aspect athlétique devait être développé. Je ne parle pas de la taille, mais plutôt de l’aspect physique, de l’endurance et de la puissance. Même moi, c’est sur l’aspect athlétique que j’ai progressé le plus.

Tu as évoqué la possibilité de te reconvertir comme entraîneur après t’être focalisée sur l’entraînement des gardiens de buts. Qu’est-ce qui te plaît dans l’entraînement ?

Au long de ma carrière, je n’ai pas eu la chance d’avoir des entraîneurs compétents, et même quand j’étais professionnelle, j’ai eu des entraîneurs incompétents. J’ai eu la chance d’avoir une carrière très intéressante où j’ai connu des joueuses de très haut niveau. Je me dis que j’aimerai bien transmettre cette expérience à des jeunes. Personnellement, j’aime diriger, faire les choses à ma manière. Dans chaque club, je me disais comme toutes les joueuses : « si j’ étais coach je ferai ci, je ferai ça ». On aime donner notre opinion et faire différemment. C’est intéressant de continuer à évoluer dans le milieu du foot après ta carrière de joueuse.

“Un gardien c’est un leader qui doit savoir maîtriser ses émotions”

Es-tu d’acccord pour dire qu’au cours d’un match, le poste de gardien n’est pas épuisant physiquement mais qu’il l’est sur le plan mental…

Complètement ! Par exemple ce week-end (match face à Bilbao lors de la 18ème journée de Liga, ndlr), c’est typiquement ce qui s’est passé. On nous demande le RPE  après tous les matchs (Rating Perceived Exertion, méthode de perception à l’effort), donc dire de 0 à 10 comment physiquement ça a été. Généralement après un match, je mets rarement au-delà de quatre. Si j’ai joué contre le Barça je mets peut-être un 5 (rires), ce n’est jamais très élevé. Après le match face à Bilbao où l’on marque à la 90e et c’était très tendu jusqu’à la fin, je me suis senti complètement épuisée. Dans ce genre de match, ton niveau de concentration est très très élevé et en Espagne tu es plus sollicitée qu’en France au cours d’un match. Bien sûr, je ne suis pas concentrée 90 minutes pile poil mais après un match de la sorte, je suis épuisée au niveau mental.

Est-ce que avec ton entraîneur des gardiens tu fais des exercices pour travailler ce mental et cette concentration ?

Non, pas spécifiquement. En revanche, on discute beaucoup. Je pense qu’au delà de la concentration, il y a beaucoup de confiance. C’est plus de la compréhension de jeu. Si tu sais où tu dois être et à quel moment, c’est beaucoup plus facile d’y être. Tu as beau être concentrée, si tu es mal placée tu te loupes. Avec le Bétis, on a mis quelque chose en place depuis quelques semaines où on attribue des points aux joueuses. Par exemple, on fait un jeu réduit, un point est attribué à l’équipe gagnante et on fait un classement. Comme tu mets un peu de compét’ (sic) dans l’entraînement. Il y en a tous les jours d’ailleurs, donc tu es tout le temps en mode compétition. Quand arrive le week-end, tu es déjà dans l’ambiance et tu as l’habitude. Ça m’a beaucoup aidé pour la concentration.

Si un jour on te demande de définir le poste dans un dictionnaire, quelle définition lui donnerais-tu ?

C’est pas évident ça (rires). Je pense que c’est quelqu’un d’à part qui doit faire preuve d’une grand maturité, avoir des connaissances de jeu très élevées, surtout une importante compréhension de jeu. C’est quelqu’un qui doit être un leader, être le reflet de l’équipe et doit savoir maîtriser ses émotions. Il doit transmettre de la sérénité, du calme et de la confiance.

Un dernier mot pour les lecteurs de MO ?

De poursuivre leurs rêves. Si un jour, ils échouent ou qu’ils ne sont pas titulaires, ça ne veut pas dire que tout le monde ne veut pas d’eux. C’est important de rêver et de travailler pour ses rêves. Quand tu travailles pour, ça arrive à un moment donné, peut-être pas au moment où tu t’y attends. Je pense que pour ceux qui sont persévérants, ça arrive toujours.

Méline Gérard Real Madrid Gardienne Main Opposée Football Féminin

MO : Ton idole ?

MG : Iker Casillas

MO : Ton plus bel arrêt ?

MG : Au Bétis, l’année dernière contre l’Espanyol Barcelone. Une claquette main opposée sur mon côté droit en lucarne. Celui-là il était pas mal.

MO : Ton meilleur souvenir ?

MG : Ma victoire avec Sainté en Coupe de France.

MO : Ta meilleur coéquipière ?

MG : Camille Abily.

MO : Cuisine espagnole ou française ?

MG : Cuisine française.

 


Photo couverture : Marseillenews.net

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