En 17 ans de carrière Fabien Barthez a innové, dribblé et pratiquement tout gagné. Entre ses débuts à Toulouse en 1990 et sa fin de carrière à Nantes en 2007, le Divin Chauve est passé par tous les états. Entre crachat sur un arbitre, pub McDo et soulèvement des plus beaux trophées, Fabien Barthez a aussi pris le temps d’inventer le prototype du gardien moderne.
Champion de France et d’Angleterre à plusieurs reprises, vainqueur de la Ligue des Champions – il est d’ailleurs le seul gardien français à l’avoir remportée -, de l’Euro et de la Coupe du Monde, le petit gars de Lavelanet possède un palmarès à faire frissonner quiconque aime le sport, et le football en particulier.
Repéré en 1986 par Élie Baup, qu’il considère comme son mentor et qui lui fait intégrer le centre de préformation toulousain, Fabien Barthez début cinq ans plus tard en 1ère division, l’ancêtre de la Ligue 1. Lancé dans le grand bain par Victor Zvunka, Barthez avouera par la suite, à propos de son premier match : “Je suis resté paralysé sur ma ligne pendant une demi-heure”. Il signera à l’Olympique de Marseille à la fin de la saison 1991/1992.
Pour son second match sous les couleurs olympiennes, il montre à tout le monde de quoi sera faite la totalité de sa carrière: de sauvetages, de sourires et de dribbles couillus balle au pied. En ce jour de septembre et de réception de l’AS Monaco, Barthez reçoit une passe en retrait et se retrouve pressé par Klinsmann, l’avant-centre asémiste champion du monde avec l’Allemagne un an plus tôt. Quel gardien d’une vingtaine d’années aurait paniqué et aurait envoyé le ballon n’importe où, pourvu que ce soit loin de sa surface ? Presque tous. Qu’a fait Fabien Barthez ? Il a dribblé l’attaquant allemand. Plus tard, bien après la fin de sa carrière, il déclare : “Même quand je faisais un crochet, ce n’était pas pour m’amuser. C’était parce que je pensais que ce serait le geste le plus efficace pour après, relancer le plus proprement possible. Parfois, le plus efficace était de taper en touche alors je le faisais.”
C’est en cela qu’il crée le gardien moderne. Il sait quitter sa ligne, aller au tampon, jouer au pied et relancer proprement. Avant lui, le prototype du portier est plutôt stoïque et moins mobile, certainement parce que la règle de la passe en retrait autorisée au gardien était encore en vigueur. Sa chance est probablement d’avoir commencé sa carrière en même temps que l’arrêt de cette règle.
Le 26 mai 1993, il soulève la seule coupe aux grandes oreilles gagnée par un club français, avec ses coéquipiers marseillais, alors qu’il n’a que 22 ans et encore des cheveux. L’histoire d’amour entre Barthez et Marseille est à lire comme un diptyque fascinant, romantique et inégal. Champion d’Europe puis relégué lors de son premier passage. Sa seconde période à l’OM, entre 2004 et 2006, pendant laquelle il brille toujours autant dans les bois, mais aussi pendant laquelle il ne peut s’empêcher de cracher, pisser et sortir le pied en avant. Après la fameuse Ligue des Champions 93, il y aura une autre finale. Celle-ci de Coupe UEFA, en 2004 à Göteborg, face au FC Valence de Mista, Baraja et Albelda. Rencontre au cours de laquelle il se fait exclure pour une sortie pied en avant. Entre l’expulsion en finale et le crachat sur un arbitre, Barthez a terni son image a l’OM en deux coups de sang. Bilan? Il terminera sa carrière à au FC Nantes, sous les ordres d’Élie “tiens tiens” Baup, sans parvenir à aider au maintien du club et après s’être battu avec des supporters mécontents. Une immense carrière qui se termine de la pire des manières.
Avant cela, il a joué 192 matchs avec l’ASM qu’il rejoint en 1995. De nombreux matchs mais aussi quelques soucis… Arrivé blessé en Principauté, il sera, dès son retour à la compétition, contrôlé positif au canabis et suspendu dans la foulée 4 mois dont 2 fermes. Une blessure au ménisque suivie d’une fracture du poignet et d’une suspension, la première saison de Barthez à Monaco est blanche. Il remportera le championnat de France la saison suivante et deviendra capitaine des rouges et blancs.
Numéro trois dans la hiérarchie d’Aimé Jacquet à l’Euro 96 à la suite de sa suspension pour avoir fumé du cannabis, le Divin Chauve double toute la concurrence pour la Coupe du Monde 98 et se voit propulsé n°1. Il termine meilleur gardien du tournoi, n’ayant encaissé que de deux buts ; face au Danemark, sur penalti, et la Croatie en demi-finale. Choisi pour sa capacité à évacuer la pression, il surprend les spectateurs du 1/4 de finale face à l’Italie en étant surpris à rire à pleine gorge, assis sur le banc, en attendant le début de la séance de tirs au but. Il sera décisif lors de la séance en sortant une tentative italienne. C’est l’une des caractéristique de l’inimitable gardien français. Pour lui, “rigoler sur un terrain c’était la base du football, c’est un jeu alors oui, tout en restant sérieux”. Il a toujours clamé sa joie d’être sur le rectangle vert. “Sur un terrain, j’étais heureux, joyeux… J’étais un gamin”. Il ne ressentait la pression qu’au moment de partir de l’hôtel, l’arrivée au stade et “un peu dans les vestiaires. Je lâchais tout quand j’allais m’échauffer”. En somme, heureux qui comme Barthez, a fait une belle carrière.
Robert Pirès est revenu sur cette fameuse séance, bien des années après le match: “Ce qui est fou à ce moment-là, c’est le comportement de Fabien. Il est dans son monde et il se fout de ce qui se passe autour de lui. C’est hallucinant le détachement qu’il pouvait avoir par rapport à l’enjeu… T’es en train de jouer ta place pour une demie finale et lui, il était tranquille”. Autre signe de sa décontraction, Philippe Bergeroo avait travaillé en amont sur les habitudes des tireurs italiens et avait donné à Barthez une feuille de note : “Fabien l’a mise en boule sans la lire et l’a jeté à la poubelle“. Pour lui, les tirs au but sont une question de feeling et il ne veut rien changer à ses habitudes.
Une autre preuve de sa légendaire décontraction ? Elle vient d’une confession faite à France Football par Philippe Bergeroo, entraineur des gardiens de l’équipe de France pendant le mondial 98. L’anecdote a lieu pendant l’échauffement de la finale : “À un moment, lors d’un centre venu de la droite, je me mets en opposition comme un attaquant adverse et je le vois qui s’écroule et crie: « Mon genou ! Mon genou ! J’ai le genou pété ! ». Tu imagines ma tête et mon stress… Je l’avais à peine touché ! Et je le vois qui se marre et qui se relève… Ça n’aurait pas été la finale, je lui aurais botté le cul, c’est sûr !”.
Tonique et intelligent dans sa lecture du jeu, Barthez signe notamment une sortie salvatrice extrêmement autoritaire face à Ronaldo en finale. Une image qui a fait le tour du monde. Interrogé à propos de ce face-à-face, il déclare : “Ça a été le tournant du match. Les ballons en profondeur comme ça, ce sont les actions les plus dures pour un gardien. Ça se joue à la seconde près, dans un sens comme dans l’autre. Si je ne sortais pas, il arrivait seul devant moi, et si je sortais trop tard je pouvais faire une grosse faute. Je respecte beaucoup Ronaldo et j’ai tout fait pour ne pas lui faire mal.”
Gardien au pied gauche chirurgical, il est l’auteur d’une passe décisive pour Thierry Henry face à l’Arabie Saoudite lors d’une écrasante victoire 4-0.
Dans la foulée de la compétition, Barthez revient à Monaco avec une idée très claire en tête: partir. Le mythique Manchester United veut en faire le successeur de l’immense Peter Schmeichel et cette éventualité, qui rendrait jouasse n’importe quel footballeur, a le même effet sur lui. Dès lors, il demande officiellement à quitter le club à la fin de la saison 1998/1999. Son voeu sera exaucé un an plus tard, après son second sacre international avec les Bleus.
Monaco savait déjà bien vendre. Un transfert record de près de 130 millions de francs (environ 20 millions d’euros) et le gardien français, père des vocations de dernier rempart depuis 1998, traverse la Manche pour aller garder la cage d’un des plus grands clubs du monde.
Malgré ses presque 200 matchs sur le Rocher, Barthez a parfois laissé un sentiment mitigé à ses dirigeants. Jean-Luc Ettori, gardien légendaire de l’ASM avec près de 20 saisons et 755 matchs au compteur sous les couleurs rouges et blanches avait déclaré au Parisien à propos du Divin Chauve : “Ce gaucher très à l’aise balle au pied est le premier relanceur. Sa philosophie est différente. Mais dans les buts, on n’a pas le n°10. De temps en temps, il veut l’être. Pour un jeune, c’est un mauvais exemple même si, avec le temps on peut s’orienter ainsi”. Mais Ettori savait aussi être élogieux envers le portier : “Il n’était pas grand, mais il avait de super mains et il lisait le jeu… ll avait une confiance en lui qui faisait qu’il occultait complètement la pression”. Pour terminer sur les citations du staff monégasque à son égard, Jean Petit, alors adjoint à l’ASM avait déclaré : “Il avait des qualités de détente incroyable, mais surtout, il comprenait le football.”
Durant sa période à Manchester, Barthez ne fait, une fois de plus, pas l’unanimité sur la fin de son aventure. Certains lui reprochent de rester vissé sur sa ligne de 6 mètres tout en râlant d’encaisser des lobs. Il terminera même relégué sur le banc par Roy Carrol et ne participera pas au match du titre contre Charlton en 2003. Pourtant, l’un de ses coéquipiers de l’époque, Gary Neville dira : “Vous ne l’avez pas vu à son meilleur niveau. Il était l’un des meilleurs portiers que j’ai pu connaître… Peut-être pas à United !”. Surnommé « Fabulous Fab’ » en Angleterre, le gardien tricolore a pourtant terminé son aventure mancunienne sur le banc.
Son style, toujours caractéristique fait un temps merveille. Des arrêts mémorables, dont une main opposée entrée dans la légende face à Liverpool, ont émerveillé les supporters de United. Ses sorties loin de son but et ses dribbles ont fait se dresser les cheveux de ceux qui en ont encore. Sa passion pour le jeu au pied à d’ailleurs été gentiment tâclée par Sir Alex Ferguson : “Barthez était bon balle au pied, mais il pensait être meilleur qu’il n’était réellement. Lors d’une tournée en Thaïlande, il n’arrêtait pas de me dire de le laisser jouer devant. J’ai cédé pour la deuxième période. Ses coéquipiers n’ont pas cessé d’envoyer la balle dans les coins. Barthez revenait la langue pendante après avoir couru après. Il était crevé. »
Même s’il avait fini par perdre sa place, au moment de la retraite du légendaire coach de ManU, Fabien avait déclaré: « Je suis fier d’avoir pu évoluer sous ses ordres. Humainement il est très riche et a été très important dans ma carrière. Avec Ferguson, tout le monde était logé à la même enseigne, tout le monde avait la même importance. Humainement c’est le meilleur entraineur que j’ai eu. Il avait beaucoup d’amour pour ses joueurs ».
Autre trait de sa personnalité, son amour pour la clope qui passait plutôt inaperçu quand il jouait en France. En Angleterre, les joueurs étaient plus dubitatifs, à l’image de Paul Scholes qui a côtoyé Barthez à Manchester : “À United, la buanderie était régulièrement pleine de fumée le matin parce que Laurent Blanc et Fabien Barthez ne voulaient pas commencer l’entraînement sans avoir fumé une cigarette“.
Finalement, Barthez aura soufflé le chaud et le froid pratiquement partout où il est passé, sauf à Toulouse, son club formateur qu’il considère comme ses plus belles années de footballeur. Sa carrière en elle-même s’est terminée comme la grande majorité de ses aventures en club : idyllique au départ, en eau de boudin sur la fin. S’il a très tôt gagné la plus belle des compétitions, il a fini avec la saison de trop, au FC Nantes où il n’a pas, doux euphémisme, laisser un souvenir impérissable. Il n’en reste pas moins un des plus grands gardiens de l’Histoire du football français.
Comme le chantait Gainsbourg, “Dieu est un fumeur de Havanes, c’est lui-même qui m’a dit, que la fumée envoie au paradis“. Si Barthez, lui, ne fume pas de Havanes, il est certain qu’il a passé le plus clair de sa carrière à nous y envoyer ; au paradis.
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photo de couverture : L’Equipe
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