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6 March 2017


Ce dossier, composé de 3 parties, a pour but de transmettre et de partager cette passion que toi, lecteur de Main Opposée, partages ou découvres. Il décrit les sensations que nous, amoureux de la cage, partageons. Il traitera également des moments magiques, des parades légendaires et des protagonistes qui sont entrés au panthéon de l’art. De la beauté du gardien, de la passion qui les habite, et de l’amour des mains opposées.

Pour lire la partie 1 du Dossier, cliquez ici.

Pour lire la partie 2 du Dossier, cliquez ici.

Le combat de l’imperfection

L’humain est imparfait, et le gardien est humain. De ce constat banal, naît l’éternel dilemme. Nous, portiers, devons être infaillibles, tel un mur infranchissable. On nous demande l’impossible, et nous essayons de l’atteindre, en sachant pertinemment que nous ne réussirons pas. Nous acceptons l’échec, il est notre quotidien. De cet échec naîtra le talent, et qu’importe si nous devons avant cela échouer un millier de fois. Nous acceptons tout simplement notre humanité.

Comment ne pas se rappeler de la difficulté des premiers arrêts ? De ce sentiment d’impuissance devant l’immensité de la cage. De ce sentiment d’impuissance devant une frappe qui va se loger dans la lucarne, cet endroit infâme qui vous condamne à la défaite. De ce sentiment d’impuissance devant l’attaquant qui fusille sans pitié à bout portant. La réalité est telle, nous sommes condamnés à échouer, à être déshonorés. Mais nous avons toujours la possibilité de retarder l’échéance, de lutter jusqu’à la mort. Le gardien parfait n’existe pas, mais nous cherchons tous à nous en approcher le plus possible. Comme une utopie inspiratrice, la perfection est notre raison, notre exemple.

Alors, nous combattons sans relâche. Nous combattons l’adversaire, mais nous nous combattons aussi nous-mêmes. L’attaquant va bien sûr essayer de nous tromper, mais nous le voyons arriver, ballon au pied, avec pour seul espoir de nous défaire. Mais celle que nous ne contrôlons pas, que nous ne pouvons prévoir, c’est notre imperfection. Elle guette, tel un prédateur, et vous prend au dépourvu, lorsque vous ne l’attendiez pas. C’est sûrement la difficulté du poste de portier, nous menons deux combats simultanés, et devons tous deux les remporter. L’erreur est à proscrire, car nous sommes les derniers remparts. Les responsabilités du portier sont son fardeau, il doit les porter avec honneur à jamais. Nous avons prêté serment de protéger et de servir. Dès lors, notre erreur est synonyme de drame. Une frappe dévissée, une perte de balle au milieu de terrain, un replacement lent, rien de tout ça n’est comparable à une erreur du gardien. Nous sommes à jamais les derniers, ceux qui doivent rassurer, réparer, sauver. Quelle ironie que le numéro 1 soit le dernier des 11 remparts. En réalité, nous sommes numéro 1 car nous sommes l’exemple, nous sommes l’utopie de régularité à laquelle nous aspirons.

Du combat de l’imperfection, une guerre perdue d’avance, mais que nous menons le plus longtemps possible.

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La rage de David De Gea – Photo Simon Stacpoole/Offside

 

Entrainement et sacrifice

 

 « De l’entraînement naît la perfection, du sacrifice naissent les victoires ».

L’entraînement et le travail sont les fondamentaux du portier. Alors que les joueurs de champ sont pour beaucoup nés avec un certain talent, telles des pierres précieuses, les portiers sont un métal pur, qu’il faudra forger à coups d’entraînements spéciaux. Les spécifiques, ces messes sacrées où l’on y récite la technique encore et encore, sont le secret du poste. Le but est simple, répéter jusqu’à ce que l’inhabituel devienne un réflexe. Puis, le réflexe deviendra technique. Comme une machine à laquelle on apprend plusieurs tâches. Cette technique est transmise de génération en génération par des sages anciens qui partagent leur savoir, mais bien souvent plus. Une mentalité, un style, comme un joailler polissant son diamant brut. Il existe bien entendu une part de talent, comme des réflexes accrus ou une facilité à lire les trajectoires. Néanmoins, cette part d’innée est incomparable à celle des joueurs de champ, où la vision de jeu, la technique, ou encore la vista sont très souvent détectables au plus jeune âge. Les gardiens ne commencent d’ailleurs pas souvent gardiens, et c’est une des raisons. Le métier de gardien s’apprend, mais il est très difficile à assimiler, car beaucoup de gestes sont contre-nature. Cette nécessité d’apprendre nous permet encore une fois de faire le parallèle avec la machine. Le portier parfait est une machine, ayant appris suffisamment pour parer à chaque situation, et ce sans aucune défaillance. Si le portier aspire à devenir cette infaillible machine, il est contraint d’apprendre à sa manière justement, par le travail. Personne ne naît portier, le portier se forge, tel le métal en fusion durcit par les coups du travail.

À ce sens du travail acharné s’ajoute une autre composante héroïque : le sacrifice. Un sacrifice mental tout d’abord, de par la passivité à laquelle le portier fait face au cours des matchs. Pendant que toute son équipe s’amuse avec le cuir, le portier accepte de ne pas participer aux festivités. En réalité, pour permettre à tous ces joyeux bambins de s’amuser, il accepte de veiller au grain, et ce au détriment de son plaisir. Car il n’est en aucun cas plaisant de se tenir impassible, regardant tout ce joli monde festoyer avec le ballon, se l’échanger et se le partager. Pire encore, lorsqu’il participe enfin à la fête, le gardien se doit de ne point s’amuser, de rester raisonnable, sans folies. Le rôle de portier est injuste, car il ne vous laisse pas de plaisir. Lorsque vous touchez le ballon, c’est pour mieux le rendre, ou pire, pour éviter le but. Il accepte en réalité ce sacrifice par loyauté, et par amour. Une loyauté sans faille à son maillot, un amour sans fin pour ce filet immaculé. Un sacrifice incompris, mais qu’importe, lui le sait nécessaire.

À ce dévouement sans limite, s’ajoute un mépris presque inconscient pour son propre corps. Chaque arrêt, chaque duel, chaque intervention est un danger pour sa santé. Comment ne pas évoquer les doigts fêlés voire cassés, les hanches douloureuses et couvertes de bleus, ou encore les éraflures violentes du synthétique ? Comment ne pas évoquer les nombreuses fois où il s’engage tête la première, avec pour seul but de repousser ce cuir au milieu d’une forêt de jambes. Comme un guerrier troyen défendant sa cité devant les attaques grecques, et qui mourra sûrement au combat, mais qu’importe. Le cas de Petr Cech est un exemple marquant d’un gardien ayant tout donné pour sauver son équipe. Le gardien est le symbole même de la solidarité, lui qui vit et meurt seul. Il se sacrifie pour sa patrie, et qu’advienne que pourra.

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Courtois en plein entraînement avec la Belgique – Photo Squawka
Adversité et concentration

 

« La plus difficile des batailles est celle que vous livrez contre vous-même »

La bataille que mène le portier est injuste. Déjà, elle est inégale, puisqu’il ne contrôle jamais les choses. Bien au contraire, il est contraint de répliquer aux actions de l’adversaire. La tâche semble de plus impossible, puisqu’il est seul à protéger un espace bien plus grand que lui. Surtout, lorsqu’il engage le combat, il est presque toujours seul. Seul contre tous, que peut-il faire ? Comment un seul homme peut-il vaincre seul, lorsque tous sont unis à sa perte ? Surtout, pourquoi les combats qu’il doit mener pour remporter cette guerre de tous les instants sont-ils aussi difficiles ? Aussi, à quoi bon lutter lorsque la moindre défaite anéantit tout ce qu’il a accompli ? Tant de questions auxquelles la seule réponse satisfaisante est cette volonté de ne jamais être défait, de toujours être le sauveur de la nation. Alors il lutte, parfois contre des ennemis invincibles, mais qu’importe. Il lutte, car c’est la seule chose à faire. Il lutte, car seul lui peut gagner cette bataille. Et lorsque tous l’assaillent, il reste de marbre, d’un sang-froid qui fait trembler l’attaquant. Comme inhumain, car l’humain ne pourrait gagner toutes les batailles. L’humain est imparfait, il échouera quoi qu’il soit. Le portier est celui qui l’espace de 90 minutes, renie son humanité pour sauver les siens et triompher.

Car il se doit de ne jamais se tromper. De ne jamais commettre l’erreur, qui condamnerait les siens. Il le sait, il est le dernier, la dernière chance, le dernier espoir. Aussi, il ne peut se permettre l’erreur. Si près des cages, ce trésor qu’il protège corps et âme. L’erreur est, dans son domaine, presque automatiquement la défaite. Mais comment pendant 90 minutes ne pas défaillir un seul instant ? Comment ne pas perdre cette concentration totale qui lui est primordiale ? Pourtant, il y a tant de choses qui le font vaciller : les supporters adverses, la pression qui pèse sur lui, et ses propres doutes. Mais il ne peut se permettre de laisser tout cela l’atteindre. Il est le dernier rempart, le seul et l’unique. Celui qui s’envolera pour sauver les siens. Celui qui se couchera pour faire triompher son équipe. Cette concentration, il ne peut la quitter, car il ne peut affronter une telle adversité sans elle. Elle est son arme, elle est la seule qui l’accompagne dans son combat solitaire. Comme l’épouse qui le fait se surpasser, il ne peut la trahir, lui être infidèle. Pas à elle, non, elle est bien trop importante. L’amour d’une vie de 90 minutes, mais qui le fera résonner dans l’éternité, et qui le fera triompher.

Germany's goalkeeper Manuel Neuer (L) and Argentina's forward Gonzalo Higuain compete for the ball during the final football match between Germany and Argentina for the FIFA World Cup at The Maracana Stadium in Rio de Janeiro on July 13, 2014. AFP PHOTO / NELSON ALMEIDA (Photo credit should read NELSON ALMEIDA/AFP/Getty Images)
La combativité de Neuer en CDM 2014 devant Higuain (Nelson Almeida/AFP/Getty Images).
Mental et abnégation

 

« L’arrêt le plus important est le prochain. »

Dans ce combat acharné, le portier ne peut douter. Le doute est vicieux, il s’installe en vous et vous détruit de l’intérieur. Le doute affecte le portier en son plus profond, il lui fait tout remettre en question. Le doute survient à la moindre hésitation, même sans conséquence. Et il vous envahit, au fil des minutes, au fil des instants.  Seul, le portier peut vite sombrer, surtout s’il n’a rien à faire durant une longue période. Car le doute se chasse aussi vite qu’il est venu, il suffit d’une victoire, d’une bonne intervention, et vous voilà roi de nouveau. Mais laissez le doute s’installer, laissez-le prendre emprise, et il vous mènera à votre perte. Le doute vous fait conspirer à votre propre perte, comme une dépression dont vous ne pouvez vous échapper. Alors, le portier est contraint de tout oublier. Rien n’importe mais la prochaine bataille. Les autres sont de toute manière terminées, et rien ne sert de les ressasser. Le gardien est un feu précaire, éclairant ses coéquipiers et les guidant, mais pouvant être éteint par la moindre brise douteuse. Lui qui se doit de garder un mental d’acier, il est finalement si fragile. Un combat de tout instant, contre un mental trop imparfait.

Comment gagner une bataille lorsque vous venez d’en perdre plusieurs d’affilée ? Comment accepter la défaite alors que vous aviez triomphé tellement de fois, et que toutes ces victoires n’importent plus ? La cruauté du rôle de portier n’a d’égal que sa beauté. La cruauté d’enchainer les parades, de gagner tant de batailles, pour en perdre une seule qui anéantira tout son accomplissement. La cruauté d’être abandonné par sa défense, et de devoir seul lutter contre onze démons enragés. La cruauté de l’impuissance, d’être battu contre un adversaire qui ne vous laisse aucune chance. Comment accepter justement qu’il ne puisse rien faire, qu’il doive rester figé, et regarder son but se faire déshonorer. Comme un père impuissant, ne pouvant protéger ses enfants. De perdre est une chose cruelle, de ne pouvoir combattre est une aberration. Mais qu’importe, il accepte ce sort tragique. Tel un héros de tragédie grecque, il se sait condamné. Il sait qu’il devra périr. Il sait qu’il sera impuissant. Mais qu’importe, il l’accepte, car il est portier. Il est inhumain, il est imparfait, il souffrira. Mais il en faut bien un. Le fardeau, qu’il supporte par son abnégation, est son quotidien. Et sa renommée résonnera dans l’éternité.

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Casillas après sa bourde contre les Pays-bas en CDM 2014 (Source : Youtube)

 

Portier, un métier difficile, où l’imperfection est le principal ennemi. Mais c’est ainsi, et c’est dans cette imperfection qu’il trouve son bonheur. De ce combat, de cette lutte acharnée, naît la beauté du gardien.

Source de la photo de l’article : Youtube.

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