Blog


25 December 2018


Emblématique gardien de but de l’A.S Saint-Etienne durant les années 70, Ivan Ćurković est l’un des tous meilleurs remparts qu’ai connu le club forézien. Quadruple champion de France et vainqueur à 3 reprises de la Coupe de France, cet international yougoslave aux 19 sélections et aux 383 capes sous le maillot vert était réputé pour son autorité et sa rigueur qui lui ont permis de jouer et perdurer au plus haut niveau, et ce tout au long d’une carrière sportive qui aura tout de même duré 22 ans.

LES DÉBUTS
(1944-1954)

Né le 15 mars 1944 à Mostar en Yougoslavie (actuelle Bosnie-Herzégovine), Ivan grandit dans une famille modeste avec un papa passionné de sport jouant au niveau semi-professionnel, et qui va lui inculquer les valeurs et la passion du sport. Il choisit alors de jouer gardien de but dès l’âge de 10 ans. La raison ? Le futur stéphanois idolâtre Gordan Irovic, gardien de but yougoslave évoluant au Dinamo Zagreb.

Ćurković expliquera bien des années plus tard dans son autobiographie (“Dans mes buts“, ndlr) : “Je m’endormais en rêvant de ses exploits. Sa photo était dans ma chambre. C’était un dieu pour moi. Je guettais le moindre de ses gestes. Je savais tout de ses manies et j’ai voulu faire comme lui“.

L’ÉMERGENCE
(1960-1964)

Ivan a 16 ans et très vite, les dirigeants de son club d’enfance (Velej Mojtar) repère chez ce jeune garçon un talent qui pourrait lui permettre d’intégrer le monde professionnel, mais les négociations s’avèrent plus compliquées que prévu dû aux différentes conditions imposées par le père d’Ivan. Le jeune portier doit en effet poursuivre ses études (ce qui lui permettra de devenir diplômé en architecture) et travailler durant l’intersaison. L’anecdote ? Le travail estival de terrassier-manœuvre exercé par Ivan lui permettra de participer à la construction du futur stade où il évoluera en tant que titulaire quelques mois plus tard.

Ivan passera les 3 premiers mois de sa longue carrière professionnel sur le banc des remplaçants sans effectuer la moindre entrée en jeu, période qu’il fera fructifier pour apprendre, grandir et se forger un caractère.

curkovic_mostar_1961
1961 -Ivan Ćurković avec son équipe du Velej Mojtar (Debout, 3ème en partant de la gauche)
(Source : Poteaux carrés)

Dans la foulée, Ivan disputera son premier match avec l’équipe nationale de Yougoslavie junior et se verra accorder la confiance de son entraîneur à 8 autres reprises. Performant, Ivan effectuera également sa première entrée en jeu avec son club de Velej Mojtar en 1961. Le jeune portier manque certainement d’expérience, mais la presse est élogieuse à son sujet grâce à sa solidité dans ses buts. Ses performances lui permettront de disputer en 1964 les Jeux Olympiques de Tokyo et d’être transféré la même année au Partizan Belgrade, l’un des plus grands clubs du pays. Ivan a maintenant 20 ans, c’est le début pour lui d’une longue carrière…

LA CONFIRMATION
(1965-1972)

En arrivant au Partizan, ‘Curko‘ rentre en concurrence avec un certain Milutin Šoškić. Il est le gardien numéro 1 de l’équipe nationale yougoslave et titulaire affirmé dans les buts de Belgrade. Caprice du destin, Šoškić est mobilisé cette année-là pour l’armée, et Ćurković en profitera largement pour s’accaparer le rôle de titulaire et par la même occasion, remporter son premier titre de champion de Yougoslavie.

Lors de la saison suivante, Šoškić, de retour de l’armée,  signe son retour dans les buts de Belgrade et il faut le dire, il est bien trop performant pour que bascule de nouveau la hiérarchie. Le Partizan accède d’ailleurs à la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions (perdue face au Real Madrid 2-1, ndlr) et il y est pour beaucoup, en ayant multiplier les performances lors de la compétition. Cela n’empêche pourtant pas le départ de Šoškić lors de la saison 66-67, transféré au FC Cologne. Un soulagement pour ‘Curko‘ qui va alors rencontrer un homme qui va changer sa vie…

curkovic_partizan_1971
Ivan Curkovic sous les couleurs du Partizan Belgrade (Source : Poteaux carrés)

Âgé de maintenant 22 ans, le jeune portier évoluera désormais sous les ordres de Stjepan Bobek, nouvel entraîneur du Partizan. Il va jouer un rôle prédominant dans la carrière de Ćurković en le transformant en gardien moderne. Bobel lui demande d’être le premier arrière de la défense et, dans sa surface, c’est désormais lui le patron, tant et si bien qu’il déclara plus tard à des journalistes : “Ivan Ćurković, c’est mon chef-d’œuvre d’entraîneur.

Ćurković sera notamment sélectionné à plusieurs reprises avec l’équipe nationale (19 sélections) grâce à ses bonnes performances sous le maillot de Belgrade. Fait anecdotique, il encaissera face à la Hongrie un but du futur arbitre de la rencontre opposant Saint-Etienne au Bayern Munich en finale de Coupe des Clubs Champions.

Mais l’aventure n’est pas si belle avec sa sélection puisqu’au cours des années 70, d’autres gardiens yougoslaves (Ilija Pantelic, Enver Maric ou Ognjen Petrovic) lui sont préférés. Est-ce au final le plus important ? Si l’on se réfère à la décision que prendra Ivan Curkovic en 1972, pas tant que ça …

En 1972, ‘Curko’ a 28 ans. C’est l’âge légal pour pouvoir quitter l’empire soviétique (les footballeurs sont les seuls de l’URSS à bénéficier de ce traitement de faveur) et s’en aller vers l’Ouest d’autant que le gardien a déjà effectué son service militaire. Le Partizan anticipe et lui propose littéralement un contrat en or, mais lui laisse également le choix de partir. Envisageant toutes éventualités, le club yougoslave a d’ailleurs signé un accord préalable avec Bastia au cas où le gardien prendrait la décision de quitter le club. Néanmoins, un autre club français s’intéresse tout de même à lui : l’AS Saint-Etienne…

CURKO DÉBARQUE À SAINTÉ
(1972-1975)

Coup de tonnerre dans la carrière de ‘Curko’ : il se blesse sérieusement lors d’un match avec le Partizan Belgrade. Bilan, fracture du maxillaire et plusieurs dents cassées. Le SC Bastia “lâche” l’affaire, le club corse ne prend en effet aucune nouvelle du gardien Yougoslave durant sa période de convalescence. L’un des dirigeants du club stéphanois va lui, se montrer d’avantage présent, il s’agit de Pierre Garonnaire. Il sera présent les 2 jours suivants la sortie du joueur de l’hôpital. Il n’en faut pas plus à ‘Curko’ pour prendre sa décision définitive : il s’engage avec l’ASSE.

Problème, le portier yougoslave ne maîtrise pas encore le français et on le sait, il est nécessaire pur un gardien de communiquer avec ses joueurs. Mais ‘Curko’ se montre déterminé et intelligent, il crée des schémas afin d’expliquer aux joueurs comment faire un mur sur coup-franc où même replacer ses défenseurs et s’impose d’apprendre 20 mots par jour. Pourtant, son premier match avec les verts n’est pas de haute volée, ce qui attisera le scepticisme de la presse et des dirigeants stéphanois. Le président stéphanois Roger Rocher ira même jusqu’à déclarer : “C’est ça Ćurković ?”. Mais le portier yougoslave va ensuite réaliser 6 clean-sheets d’affilée et gagner la confiance de tous, s’imposant au fil des mois comme un titulaire indiscutable.

fb
Ćurković, impérial sous les couleurs stéphanoises (Source : Facebook)

‘Curko’ est un homme de valeur, il apprécie grandement la convivialité de la ville de Saint-Etienne et le courage de ce club. Il va d’ailleurs rapidement se lier d’amitié avec le président Rocher et surtout l’entraîneur du club, Robert Herbin. Les deux hommes partagent de nombreux points communs et vont passer de nombreuses soirées ensemble à refaire le monde du football.

Le portier yougoslave n’est pas adepte des soirées festives auxquels participe la grande majorité des joueurs comme l’a lui-même expliqué Ivan Ćurković : “J’étais assez nerveux pendant les matchs. Parfois la tension psychologique était importante. J’étais quelqu’un qui parlait beaucoup, replaçait, dirigeait mes partenaires. Je préférais rentrer à la maison voir ma femme, boire du thé. Je ne pouvais pas dormir tout de suite. Je n’étais pas prêt à sortir. Je calmais ma nervosité chez moi avec une tisane. Avec mon caractère et ma rigueur, j’étais peut-être un peu différent, mais il faut des caractères différents dans une équipe de foot“.

Lors de la saison 1973-1974, le portier remporte ses 2 premiers titres avec l’A.S Saint-Etienne avec un doublé retentissant championnat/coupe nationale. C’est le début du succès pour Ivan Ćurković qui va notamment disputer la Coupe des Clubs Champions avec Saint-Etienne. Lors de l’édition 1974-1975, les verts de ‘Curko’ se hisseront même jusqu’en demi-finale avec des matchs qui ont largement contribué aux succès des stéphanois dans toute la France.

On peut par exemple évoquer les rencontres à rebondissements, comme par exemple le match retour face à Hadjuk Split (perdu 4-1 à l’aller et gagné 5-1 au retour). Un succès qui n’a d’ailleurs jamais laissé insensible Ćurković : “Il n’y avait pas beaucoup de succès footballistiques, surtout sur le plan international. On était une jeune équipe dans une petite ville industrielle de mineurs de 300 000 habitants […] Face à Split, on a renversé une situation incroyable. Saint-Étienne et puis la France ont commencé à vibrer. Saint-Étienne l’a rendue fière. La fierté, c’est le plus important pour une nation.“.

Les verts remporteront cette saison-là le championnat français et la Coupe de France pour la seconde fois consécutive. l’Histoire est en marche : c’est le début de l’épopée stéphanoise.

d-447527-capture-d-e-cc-81cran-2017-09-06-a-cc-80-12-34-59
Ćurković brandissant la coupe de France (Source : So Foot)

L’ÉPOPÉE STÉPHANOISE
(1976)

L’AS Saint-Etienne peine en championnat, les verts vivent un début de saison assez compliqué mais la situation est toute autre en Coupe des Clubs Champions. Grand artisan de la réussite stéphanoise, ‘Curko’ est un acteur important de la bonne dynamique de Saint-Etienne en Coupe d’Europe.

Après s’être qualifié avec brio durant le premier et second tour face à Copenhague puis face aux Glasgow Rangers, les verts de Ćurković vont croiser en quarts de finale l’une des équipes des plus redoutables de la compétition : le Dynamo Kiev d’Oleg Blokhin. Un souvenir impérissable pour ‘Curko’ : “Un froid de canard, une ambiance glaciale. C’était compliqué. Même avec toute mon expérience, je ne connaissais rien de cette équipe, je ne savais pas comment elle jouait, mais elle possédait de grands joueurs et surtout un grand entraîneur : Lobanovski. Cette équipe était capable d’apprendre et de reproduire des actions par cœur.

Après avoir perdu le match 2-0 à Kiev, les verts vont réussir à inverser la tendance et se qualifier pour les quarts en battant le Dynamo à Geoffroy-Guichard 3 buts à 0 après prolongations. C’est le début de l’engouement national pour l’équipe du Forez : toute la France est derrière Saint-Etienne et son portier n’y est pas étranger.

Ćurković va enchaîner les performances, notamment en demi-finales face au PSV Eindhoven. Après une victoire 1 à 0 au match aller à Geoffroy-Guichard, les stéphanois se qualifient pour le finale de la grande coupe d’Europe grâce au nul obtenu au retour resté gravé à jamais dans la mémoire collective : Le miracle d’Eindhoven.

Face aux incessants assauts néerlandais, le portier yougoslave réalise une dizaine d’arrêts. Cette folle soirée deviendra l’un des matchs référence de la carrière d’Ivan Ćurković.

pinterest2
Ćurković, héroïque face à Eindhoven (Source : L’Équipe)

Malheureusement, point de nouveau miracle lors de la finale opposant les verts au Bayern Munich de Beckenbauer. Ćurković s’inclinera une seule et unique fois sur un coup-franc de Franz Roth et pourtant, les stéphanois vont trouver à différentes reprises les montants de Sepp Maier, donnant naissance à la fameuse légende des “poteaux carrés”.

Cela n’empêchera pas de voir défiler sur les Champs-Élysées dès le lendemain de la finale l’intégralité des joueurs foréziens dont bien évidemment ‘Curko’, du jamais vu pour une équipe qui n’est pas sorti victorieuse d’une compétition. Un engouement populaire qu’a expliqué Ivan Ćurković : “Vous savez, notre défilé sur les Champs-Élysées avec des milliers de personnes venues nous saluer, c’était un merci pour tout ce que nous avions fait jusqu’ici, pas seulement pour la finale.

St Etienne goalkeeper Ivan Curkovic (l) saves at the feet of Bayern Munich's Gerd Muller (second r)
Ivan Ćurković face à l’attaquant munichois, Gerd Müller, lors de la finale de 76. (Source : follesetglorieuses)
curkovic_revelli_champs_elysees_1976
Ivan Ćurković grandement sollicité par des supporters au lendemain de la défaite à Glasgow (Source : Poteaux Carrés)

Les verts remporteront cette année-là un troisième titre de champion de France consécutif, une performance de haute-volée malheureusement entachée par cette finale perdue 1-0 face à Munich.

LA FIN DE CARRIÈRE
(1977-1981)

Nous sommes à présent en 1977, le contrat liant le portier yougoslave au club stéphanois arrive à son terme mais ‘Curko’ est bien trop  attaché à ce club et cette ville pour prendre la décision de partir, il prolonge donc logiquement son contrat. Malgré sa finale perdue à Glagow, l’A.S Saint-Etienne reste l’un des clubs des plus attractifs du championnat français. En effet, le club remporte de nouveau la coupe de France pour la troisième fois consécutive. S’en suivront plusieurs années de disette pour les verts, aucun titre ne viendra garnir l’armoire à trophées jusqu’en 1981, où l’année qui a vu le départ de Ivan Ćurković du club forézien et le dernier titre de champion de France acquis par Saint-Etienne.

Un conflit l’oppose en effet à Robert Herbin, entraîneur du club. Ce différend deviendra l’une des causes pour lesquelles ‘Curko” prendra la décision de prendre sa retraite, mais ce n’est pas la seule. À 37 ans, le rempart stéphanois est fatigué, la passion n’est plus aussi intense et sa motivation n’est plus celle d’antan : “Durant toute ma carrière à Saint-Étienne, je n’ai manqué que quatre rencontres. Les matchs, les entraînements, tous les gestes à répéter, j’en avais un peu marre à la fin. J’étais un peu fatigué, je sortais de 22 ans de carrière, donc je n’ai eu aucun mal à sortir ce grand joueur, ce grand gardien de but qui était en moi.“.

twitter
Ćurković, gardien de but dans l’âme (Source : Twitter)

Une retraite que l’on peut largement qualifier de méritée après avoir disputé plus de 380 matchs sous la tunique stéphanoise et remporté 7 titres (4 fois champion de France et 3 Coupes de France). ‘Curko’ cède sa place dans les buts (saison 1980-1981) dès la 4ème journée à Jean Castenada, son successeur dans le buts stéphanois ; un gardien évoluant au club depuis 1977 et formé en partie par le portier yougoslave. La relève est assurée, la saison 1980-1981 est la dernière de la carrière de Ćurković.

L’APRÈS CARRIÈRE
(1981 à aujourd’hui)

Retraité des terrains de football, la reconversion professionnelle de Ćurković est assez atypique. ‘Curko’ va travailler dans les travaux publics dans la ville de Roanne (42) et va dans la foulée entamer une carrière de négociant en diamants, assez étonnant pour un ex-footballeur. Le néo-retraité va notamment endosser la nationalité française en 1982, accordée par François Mittérand pour services rendus, rien que ça. Lors de la même année, il s’occupe des gardiens de l’équipe de France lors de la Coupe du monde en Espagne, signe d’une grande reconnaissance pour le grand gardien qu’il a été.

En 1989, l’ancien portier stéphanois va de nouveau retrouver les terrains, le Partizan Belgrade fait appel à ses services pour rejoindre le staff de l’équipe yougoslave. ‘Curko’ accepte, il restera de nombreuses années au club apportant de nombreux titres à celui-ci : “Le club était dans un état désastreux. Il avait des dettes et était miné par des querelles internes. Trois des principaux membres du comité exécutif m’ont alors demandé de devenir le président du Partizan Belgrade […] J’ai été élu comme président bénévole, je tiens toujours à préciser “bénévole”. J’ai repris le club en février et nous avons gagné la Coupe trois mois plus tard. En 14 ans, nous avons remporté six titres de champion et cinq coupes.” ‘Curko’ cèdera sa place de président du club en 2006 à l’âge de 62 ans après avoir grandement contribué au succès du club durant des années.

En 2001, Ivan Ćurković est désigné pour assurer un bref intérim à la tête de l’équipe nationale de Serbie-Monténégro, mais il occupe aussi parallèlement le poste de président du Comité National Olympique de son pays, poste qu’il quitte en février 2009. Ivan Ćurković est également nommé Consul des Seychelles à Belgrade, fonction qu’il assure toujours aujourd’hui à l’âge de 74 ans.

Dernier fait, Ivan Ćurković est décoré de la légion d’honneur française en 2005 par Michel Platini au palais de la Présidence Serbe. Tout ses anciens partenaires sont présents pour immortaliser ce moment si important où il va d’ailleurs déclarer : “Mon regard est tourné vers Saint-Étienne. Je dois à ce club et cette ville une grande reconnaissance […] Je considère la distinction que je reçois comme la confirmation d’avoir moi aussi laissé quelque chose à ce club, à cette ville et au sport français. Cela me rend vraiment très heureux. Ma carrière stéphanoise a influé sur ma vie entière, familiale, sociale et professionnelle. Saint-Étienne est mon pays“.

Palmarès
– 4 titres de champion de France avec Saint-Etienne (1974, 1975, 1976 et 1981)
– 3 coupes de France avec Saint-Etienne (1974, 1975 et 1977)


Photo de couverture : Poteaux Carrés

News Feeds
Rejoins la communauté
Articles récents
Si tu souhaites recevoir du contenu exclusif, souscris à ma newsletter :
Haut de la page
Partages