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29 August 2021


Chez Main Opposée, il y a de cela bien longtemps, nous partions à la recherche du Saint-Graal ; celui qui transcende l’homme, qui abasourdit le spectateur et fait frissonner le portier.

Cette quête, si vous l’avez connue, sonne comme une fable médiévale, d’un autre temps. Et pourtant, elle nous hante encore. Vous l’aurez compris, nous repartons à la recherche de l’arrêt parfait. Une quête présomptueuse, mais une quête que nous poursuivrons sans relâche, même après tout ce temps, car elle mène à notre paradis.

Si l’homme cherche un sens à son existence, nous chercherons ici plus encore. Nous cherchons le surhumain, le divin, celui qui nous fera même croire aux beautés de l’enfer et aux horreurs du paradis. Une quête impossible sûrement, mais nous, portiers, domptons l’impossible. Et qui d’autre qu’un portier pour incarner la perfection que nous cherchons tous à atteindre, inlassablement ?

De l’incrédulité humaine

Dans l’océan de sentiments que l’humain éprouve, il en existe un qui semble flotter invisiblement au-dessus des autres. La peur, la joie, la haine, l’amour, la honte, la fierté, tous ces sentiments, tous plus puissants les uns que les autres, sont de l’ordre du connu. La surprise elle, trouve son essence dans l’inconnu.

Comme un pied de nez à la thermodynamique, la surprise puise son énergie dans l’entropie, quand bien même lorsque toute chose puise son énergie pour devenir chaos. La surprise, c’est l’essence même de toute sensation. Durant près de deux longues années, nous avons été privés de ce qui rend la vie si passionnante. La surprise, l’inattendu, ce sentiment que cette journée, bien que comme toutes les autres, ne le fut finalement pas tant que ça. Le hasard des rencontres, le chaos des nuits endiablées, tout cela envolé. Et le football en pâtit également. À quoi bon se transcender si l’on n’entend pas les ‘Oh’ du public à chaque faute, les ‘Wooooo’ à chaque occasion, les ‘Ooooa’ à chaque but ?

Ce football semblait morose, comme exilé dans un simulateur, sans couleur, sans mouvement. Et puis le public est revenu. C’était comme renaître une deuxième fois. Comme si l’amour du football n’a jamais été aussi fort que lorsqu’on l’a perdu. Et quel plaisir que de le retrouver pour des affiches comme ce Portugal-France du 23 juin 2021 pour le compte de la troisième et dernière journée de la phase de groupes de l’Euro 2020. Un match qui rappelle pour la plupart des sentiments de déception énormes, mais sur lequel on comptait pour nous ôter ce goût amer de la bouche. Comme la complicité entre Ronaldo et Benzema, le monde du football était heureux de se retrouver. Un match pour tout retrouver.

Et le football nous surprit encore une fois. Dans ce défilé de stars, c’est peut-être le plus ordinaire des hommes qui vint s’imposer. Et pourtant, quelques secondes auparavant, Paul Pogba, plus que jamais dans un rôle de créateur, nous gratifie d’une de ses plus belles pièces. Un ensemble « décalage de la semelle – enroulé foudroyant » qui vient sonner comme le chef d’œuvre de sa collection. Puis d’un lancement tout aussi fulgurant, il vient comme achever un stade qui renaît dans la surprise. Le temps d’un instant, son présent fige le présent.

Mais en face, Rui Patricio nous gratifie d’un cadeau encore plus beau. Son envolée, accoutré de noir, est une magnifique allégorie de la sobriété extravagante. Le portier portugais est ce genre de gardien qui nous ébahit de son pragmatisme cartésien. Une envolée en pleine extension et le ballon, d’une main opposée sublime, sa trajectoire en sort chambardée. Le missile, comme nous tous, son explosion est stoppée dans son élan par cette main glaciale. Le cuir, lui-même en plein choc, de son fracas s’écrase contre la transversale et face au portier portugais. Cet enchaînement de coups de théâtres vient chambouler le match telles ces anacoluthes (figures de style où la construction synthaxique est perturbée) qui viennent t’intriguer, toi, lecteur. Vient alors au rebond un nouveau prétendant. Griezmann, comme poussé subitement sous le feu des projecteurs, reprend ce ballon comme il peut et c’est un nouvel affront de Rui Patricio qui stupéfie nos yeux. Le ballon est repoussé et des milliers de bouches ouvertes regardent le visage impassible de Rui Patricio. Pire, celui de Pogba qui semble tout simplement ne pas en croire ses yeux.

La réaction de pogba suite à l'arrêt de Rui Patricio
La réaction de pogba suite à l’arrêt de Rui Patricio (source : BeinSports)

L’espace d’un instant, tout un stade regarde invraisemblablement ce ballon repoussé par Rui Patricio. Tous sont consternés par ce spectacle magnifiquement interrompu par le gardien portugais. Tous, sauf le principal intéressé, pour qui la réalisation de cet arrêt n’est pas une surprise, mais l’aboutissement d’un travail colossal pour dompter la surprise. Qu’y a-t-il de plus beau que d’abasourdir le monde entier comme un banal accomplissement ? Être portier, c’est aussi dominer les émotions les plus fortes que l’homme connaisse, les dompter pour mieux toucher du doigt le cuir, pour atteindre cette perfection soudaine.

Crédit photo image de couverture : BeIN Sport

 

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