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20 February 2017


En charge du développement des gardiens de but à Chelsea, Christophe Lollichon évolue en Angleterre depuis 2007. Interviewé par Eurosport.fr, il décrypte l’évolution du jeu des portiers et, notamment, l’importance prise par le jeu au pied ces dernières années sous l’influence de Pep Guardiola. Voici la retranscription de son interview.

Un gardien qui n’est pas performant dans le jeu au pied, est-ce rédhibitoire en 2017 ?

C.L. : Tout dépend de l’équipe dans laquelle il doit jouer. Si elle ne construit pas, qu’elle ne cherche pas à repartir de derrière, ce n’est pas un gros problème. Dégager à 65 mètres ou jouer comme le souhaitent Guardiola, Conte ou Klopp, ce n’est pas la même chose. Si votre philosophie est de jouer court, d’avoir la possession du ballon, c’est une qualité très importante. Le gardien complet, aujourd’hui, doit être bon avec ses mains et avec ses pieds. J’ai pour habitude de dire que le gardien est un joueur de champ qui a le droit d’utiliser ses mains. Ce qui signifie qu’on ne peut plus se contenter d’avoir des “shot stoppers”. Un gardien doit comprendre le jeu comme un milieu de terrain. C’est primordial.

Il fut un temps où les gardiens avec un jeu au pied long, comme David Seaman, étaient loués pour leurs qualités techniques. Aujourd’hui, l’allonge ne semble plus primordiale : l’évolution du jeu donne de la valeur aux gardiens qui savent jouer court et vite pour déséquilibrer l’adversaire…

C.L. : Dans le jeu au pied, il y a plusieurs choses. Une bonne technique de relance sur le jeu long, c’est une qualité que beaucoup possèdent. Le fait de recevoir un ballon, contrôler et relancer sans pression, tout le monde peut le faire également. Après, il faut savoir gérer une situation sous pression avec une bonne relance grâce à une première touche qui va vous permettre d’orienter le jeu où vous le souhaitez. C’est plus dur. Il faut de la qualité mais aussi… des solutions. Si vous êtes dans une équipe où celui qui vous a donné le ballon vous tourne instantanément le dos, c’est plus compliqué. Cela signifie qu’il ne veut pas le ballon. Vous pouvez vite être dans la mouise. J’ai déjà vu ça. Un gardien qui joue à Barcelone, à Chelsea, à Séville, sait qu’il aura des solutions et devra prendre les informations pour utiliser le ballon le plus vite possible. On l’a vu mardi dernier avec ParisKevin Trapp n’a pas hésité à relancer sur Presnel Kimpembe avec des Barcelonais pas loin de lui. Il savait que son défenseur pouvait jouer. Il ne s’est pas débarrassé du ballon en jouant court.

Kevin Trapp face au Barça

Kevin Trapp face au Barça Panoramic

Le corollaire de ce jeu court n’est-il pas une prise de risque plus importante ?

C.L. : Il faut relancer avec intelligence. Il ne faut pas jouer court pour jouer court. Quand vous dégagez loin, le ballon peut aussi revenir vite. Le risque est permanent, il faut le doser. Encore une fois, le risque n’est pas grand si vous avez des joueurs pour assumer votre plan de jeu. Regardez Victor Valdes, il joue à Middlesbrough et ne peut plus jouer court. Il ne faisait que ça à Barcelone. Ce n’est plus possible aujourd’hui. Il s’est adapté.

Claudio Bravo a des difficultés depuis son arrivée en Angleterre. Il est plus petit (1,85m) que le portier classique en Premier League mais doté d’un excellent jeu au pied : est-ce viable ?

C.L. : Je ne sais pas s’il faut placer le débat là-dessus. Il est sûr qu’un gardien évoluant en Angleterre doit être grand et explosif. Mais cela ne sert à rien d’avoir l’un sans l’autre. Un gardien grand qui est lent comme un tracteur, ça ne sert à rien. Maintenant, l’Angleterre sort du “kick and rush”, Chelsea, City, Arsenal, Liverpool aiment repartir de derrière. Les adversaires l’ont compris et pressent. Les Anglais aiment ça. Un gardien comme Claudio Bravo, aussi bon soit-il – on l’a vu en sélection ou en Liga -, peut se retrouver en difficulté pour exprimer ses qualités au pied.

Claudio Bravo

Claudio BravoAFP

Apôtre du jeu court et des gardiens techniques, Pep Guardiola est arrivé en Angleterre avec un modèle qui a fait ses preuves en Espagne et en Allemagne. Peut-il fonctionner de la même manière dans un championnat comme la Premier League ?

C.L. : Je suis assez persuadé que ça peut fonctionner. Mais on ne peut pas faire que ça et, encore une fois, ce n’est pas lié qu’au gardien de but. Il faut les joueurs autour. Pep Guardiola est un entraîneur que j’adore mais il faut peut-être accepter que sa méthode puisse prendre du temps. Manuel Pellegrini jouait déjà court avec City mais Guardiola va encore plus loin. Il se creuse la tête pour trouver des solutions. C’est un vrai chercheur, je pense que c’est pour cela qu’il est venu en Angleterre. Il doit se régaler. Sa méthode peut marcher mais il faut varier, on ne peut pas seulement se cantonner au jeu court ici.

Jouer en Angleterre pour un gardien, c’est autre chose : combien de temps faut-il pour prendre la pleine mesure de la Premier League et de sa densité physique ?

C.L. : Tout dépend des joueurs. Petr Cech l’a fait très rapidement quand il est arrivé à Chelsea, en 2004. Lors de sa première année, il a été très bon car il avait les arguments pour, même s’il devait s’épaissir. Certains sont plus en difficulté morphologiquement. David de Gea a mis un an et demi pour s’adapter. Il était jeune, c’est un élément à prendre en compte. A Liverpool, Pepe Reina a mis un petit peu de temps. Tout dépend aussi de l’équipe dans laquelle vous jouez. West Brom ou Chelsea, ce n’est pas la même chose. Le travail est également important pour prendre la mesure de la Premier League. L’accumulation des matches aussi, ainsi que les analyses vidéo. Vous y découvrez vos adversaires, les deuxièmes ballons où les joueurs à arrivent à fond la caisse. La densité athlétique, physique et l’agressivité est incomparable avec les autres championnats. Mais globalement, au bout de six mois, un très très bon gardien doit avoir jaugé ce qu’il devra faire pour réussir à s’adapter au football anglais.

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