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20 July 2020


Baccalauréat en poche à 18 ans, Alexandre Durand a décidé de se lancer dans l’aventure universitaire américaine. À l’aube de sa 3e saison, il nous explique les spécificités du fonctionnement des championnats universitaires américains et la vision américaine du poste de gardien de but. Il revient aussi sur son parcours en France et son passage au centre de formation de Dijon sous l’aile de Laurent Weber. Entretien.

Main Opposée : Bonjour Alexandre, comment vas-tu dans cette période un peu troublée et quelles sont les incidences sur ton championnat et tes entraînements ?

Alexandre Durand : Il y a peu de choses fermées ici, mais les salles de sport le sont. On est à trois entraînements par semaine avec des petites séances de 45 minutes pour respecter les règles de confinement de la NCAA qui a décidé de maintenir la prochaine saison et laisse la voix aux Etats fédéraux pour décider s’ils laissent leurs Universités participer aux championnats. 

MO : Comment se passe le championnat universitaire américain ? 

A.D : Je joue en NCAA 2, un championnat au niveau technique à peu près équivalent à la R2-R1 en France, mais avec des physiques de joueurs de L1. On commence en août avec la pré-saison et des matchs dits d’exhibition. Ils ne comptent pas pour tes statistiques qui sont très importantes aux Etats-Unis. 

Après ces trois matchs, tu as des matchs qui commencent à compter dans tes stats et dans ton overall pour le niveau national, mais pas dans ton premier championnat. C’est important pour les grosses universités qui jouent leur qualification au tournoi national.

Commence ensuite le championnat de conférence, qui varie selon les endroits. Personnellement, je suis dans une grosse conférence avec 11 équipes. Dans ces 11 équipes, 6 vont aller au tournoi de conférence qui a lieu durant une semaine, sachant que le premier est automatiquement qualifié pour le tournoi national car il est vainqueur de la saison régulière. 

MO : Tu changes de club la saison prochaine…

A.D : Oui, je rejoins le Wisconsin en juillet. Je viens de faire deux ans à Cleveland où ça s’est bien passé malgré le fait que je n’étais pas dans une très bonne équipe. On a galéré pendant ces deux années, mais j’ai eu la chance d’avoir un ancien professionnel comme coach des gardiens, passé par UCLA, Eric Reed.

Ma future équipe a été au tournoi national ces deux dernières années et je n’ai jamais atteint ce niveau donc ça va être cool. C’est une équipe d’une autre conférence car comme on est sous le régime de l’amateurisme, on a pas le droit d’être transféré dans une équipe de la même conférence parce que le recrutement passerait pour de la triche.

 

MO : Comment s’articule ta journée-type entre cours et football ? 

A.D : Ce sont les cours qui sont au coeur du planning, pas comme en France en centre de formation. Généralement, on a deux entrainements par jour. Le premier est souvent à 5h30 du matin, à la salle de sport, avant les cours. Au début ça a été un choc pour moi, d’une part pour l’horaire, mais surtout pour la muscu parce que j’étais pas habitué à soulever des haltères pendant qu’on te cries dans les oreilles et à boire des compléments alimentaires.

Après cette séance, on file en cours, souvent en amphi d’une cinquantaine de personnes. Les cours ne sont pas si compliqués que ça, comme examens on n’a que des QCM, mais ici, c’est les études avant tout. Je dois maintenir une note qui s’assimile à un 14/20 en France si je veux pouvoir continuer à jouer. Ce sont les règles de la NCAA avec l’amateurisme au centre. C’est pour ça que les entrainements sont après les cours autour de 17/18h.  

MO : Qu’as tu retenu de tes expériences françaises, notamment au centre de formation de Dijon ? 

A.D : Il m’a fallu un mois pour me rendre compte à quel point devenir professionnel, c’était dur. Aujourd’hui, on ne se rend pas assez compte de ce que c’est, surtout sur le poste de gardien de but. C’est orienté sur ton physique et ta taille, on va faire signer un gardien pour son potentiel. Si t’es grand t’as plus de chance, même s’il faut aussi un bon bagage technique. On va pas faire signer un gardien qui va être fort mentalement, on se base plus sur la taille.

J’ai eu la chance d’être recruté par Laurent Weber qui m’a fait rentrer malgré ma taille (1m75 aujourd’hui). Le fait d’être le plus petit et de m’entraîner avec des plus grands a fait ma force mentale et m’a poussé à me dépasser tous les jours. Il m’a appris à jouer haut sur le terrain. Je suis assez fou sur la hauteur à laquelle je joue, il m’est déjà arrivé de contrôler un 6 mètres du gardien adverse. 

MO : Tu vois une différence en match entre les Etats-Unis et l’Europe ? 

A.D : J’ai très peu de face-à-face à gérer, ça va être plus des balles en profondeur ou des frappes de loin. On est loin du gardien européen spectaculaire et qui se distingue par son jeu au pied et ses longues transversales précises comme Ter Stegen ou Ederson. Les attaquants aux Etats-Unis ne sont pas super techniques mais ils ont des frappes lourdes, très fortes. Dès qu’il y a une opportunité, il va frapper le plus fort possible et quand tu vois la taille de leur cuisse à force d’aller à la muscu, ça part très fort. Sur les ballons aériens, les arbitres sifflent quasiment jamais faute sur le gardien.

Ici le gardien a seulement l’étiquette de shot stopper et ne prends pas vraiment part au jeu. On demande au gardien américain de rester sur sa ligne et d’être fort dans les airs pour pas se faire rentrer dedans. Il suffit de comparer Tim Howard et un gardien classique d’1m85 européen. Un gardien américain va jamais faire la différence, il va rarement faire d’erreurs, mais il ne va pas faire non plus un arrêt grandiose qui va sauver son équipe ou faire la passe qui ferait de lui le 11e homme. 

Aux Etats-Unis, le jeu aérien des gardiens est primordial.
Aux Etats-Unis, le jeu aérien des gardiens est primordial.

MO : Ces différences dans le jeu se ressentent à l’entraînement ? 

A.D : Oui, complètement. Ça ne m’est jamais arrivé de m’entraîner les 30 premières minutes avec l’équipe. Le coach des gardiens nous prend à part, le coach principal siffle quand il a besoin d’un gardien pour de la finition ou une opposition mais on ne va jamais faire une conservation ou un taureau avec l’équipe.  

MO : Et au niveau des spécifiques gardiens ? 

A.D : Les deux grosses différences, c’est qu’en France tu apprends de tes coéquipiers. Personnellement j’ai beaucoup appris avec les pros, notamment Baptiste Reynet, ou les gardiens de la CFA comme Enzo Basilio. Des gars beaucoup plus forts que moi qui me donnaient des astuces. Ici, c’est plus moi qui ait ce rôle de mentor parce que, s’ils m’ont fait venir de France, c’est que je suis un peu meilleur que les autres. En plus, dans mon club j’étais capitaine donc j’arrivais vraiment à donner mon point de vue.

J’essaie d’aider les gardiens pour qu’ils se sortent de la tête leur image américaine du poste et les faire progresser. Mon remplaçant a 3 ans de plus que moi et a beaucoup appris. Il joue plus haut, n’a pas peur d’aller au duel et il donne de la voix sur le terrain. L’année prochaine, ça va être sa première saison titulaire donc j’ai hâte de voir ce qu’il va donner. En Europe, tu apprends de tes coéquipiers et de ton coach alors qu’aux Etats-Unis la progression, elle s’arrête. Personnellement il n’y a que mon corps qui se développe, et plus vraiment mes qualités. 

MO : Comment te sens-tu face à ces différences ? 

A.D : Mon style c’est de sortir, de parler. J’ai été formé dans un centre de formation européen assez respecté au niveau des gardiens. Le gardien de 2002, Thomas Roche, est en équipe de France U18 notamment. Laurent Weber nous a beaucoup formé sur les sorties en croix et la gestion de la profondeur. On a travaillé notre détente, ce qu’on n’apprend pas ici.

Je prends plus de plaisir à jouer « à l’européenne » parce que je prends du plaisir à jouer avec mes pieds. Après, j’adore cette “guerre” que les américains ont dans le soccer. En Europe, les joueurs sont beaucoup trop concentrés sur leurs performances individuelles, ce qui gâche un peu le jeu et rend les joueurs individualistes, qui veulent attirer les clubs pro. Aux Etats-Unis, si je fais une erreur, je sais que mes défenseurs sont prêts à perdre une dent pour sauver le ballon sur la ligne. 

MO : Et tu arrives à imposer ton style de jeu ? 

A.D : J’ai eu deux entraîneurs de gardiens en deux ans. Mon premier entraîneur était merveilleux, j’étais vraiment le boss de ma défense et si je leur demandais de jouer haut, ils le faisaient. On faisait un gros travail d’analyse des équipes adverses avec ce coach, des attaquants adverses. J’étais vraiment maître de ce que je faisais, j’ai vraiment adoré.

Un nouveau coach est arrivé, j’ai commencé titulaire et je fais une sortie lointaine de la tête qui l’a rendu fou. J’ai dû le faire les dix premiers matchs parce que j’étais habitué. Ça m’est déjà même arrivé de faire un double tacle. Il m’a menacé de me faire sortir même s’il fallait faire jouer un défenseur dans les buts tellement ça le fait flipper ce truc là, parce que forcément ça arrive de faire des boulettes quand on joue comme ça, mais on en sauve pas mal. Je lui ai expliqué que c’était mon style, qu’avec ma petite taille, s’il y avait une belle frappe en lucarne, j’avais vraiment aucune chance et que je suis pas non plus un gardien à réflexe sur ma ligne. Mes points forts c’est le jeu au pied, les sorties aériennes et la gestion de la profondeur, mais j’ai dû un peu me canaliser cette année avec ce coach. 

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Brassard au bras, Alexandre essaie d’imposer son style de jeu “à l’européenne”.

MO : Combien de temps peux-tu rester sur le circuit universitaire ? 

A.D : J’ai 4 ans d’éligibilité en tant que joueur et après,  j’ai le droit à une année en plus pour faire un autre sport si j’ai envie. Mon plan A c’est de devenir coach de gardiens pour payer mon master ou faire kicker pour une équipe de football américain. C’est généralement les anciens joueurs de soccer qui font ça donc pourquoi pas. 

MO : Que souhaites-tu à la sortie du circuit ? 

A.D : Pour passer pro du monde universitaire à la MLS, il faut passer par la Draft, ce qui est très compliqué surtout pour nous, les internationaux. D’un point de vue personnel, je veux finir mon master en commerce pour avoir plus d’opportunités. J’ai la chance que mon père ait un site de maillots vintage et organise des tournois l’hiver et l’été en indoor ou en extérieur, en partenariat avec SoFoot. Du coup, mon projet c’est de reprendre cette affaire et de faire de l’événementiel en organisant des tournois à travers le monde. J’aimerais bien développer ça aux Etats-Unis.

J’ai pas envie de rentrer en France, c’est pas quelque chose qui me motive. J’ai l’impression d’avoir plus d’opportunités aux Etats-Unis. Malheureusement Trump a supprimé le programme OPT qui permet aux étudiants étrangers de rester deux ans après leurs diplômes pour apprendre notre futur métier, pour faire des stages, mais je compte bien rester ici pour autant et si je travaille dur, ça devrait aller. 

MO : Un dernier mot pour les lecteurs de MO ?

A.D : Merci de m’avoir donné l’opportunité de parler pour les gardiens aux Etats-Unis. Je pense qu’on a tous une expérience différente. J’espère que cet article va pouvoir motiver des gardiens à tenter l’expérience. Quand tu vas aux Etats-Unis, c’est une expérience de vie et tout le monde que je connais a adoré. Je ne peux qu’encourager tout le monde à tenter sa chance parce que le niveau requis n’est pas vraiment très élevé, et je pense que tout le monde a sa chance. Le rêve américain n’est pas qu’un rêve !

 

– Les pénos de MO –

Les Pénos de MO - Alexandre Durand

MO : Ton idole de jeunesse ?
AD : Zacharie Boucher, c’était un petit gardien en taille et quand je l’ai rencontré, il m’a motivé à fond, un mec en or. 

MO : Le meilleur gardien du monde ?
AD : Ter Stegen.

MO : Ton plus bel arrêt ?
AD : Un double arrêt sur penalty contre l’Université rivale. 

MO : Ton pire souvenir ?
AD : Ma non-sélection à l’INF Clarefontaine.

MO : Ton meilleur souvenir ?
AD : Quand j’ai signé mon contrat pour aller à Dijon. 

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Crédit photos : Kelsey Taylor

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