Blog


28 May 2017



Le gardien est un poète, chaque arrêt est un vers du poème qu’est son match. Chaque poème est une ode dans le recueil qu’est sa saison. Chaque recueil est une étape dans l’oeuvre qu’est sa vie. La poésie a un caractère incompréhensible, capable de nous subjuguer ou de nous envahir profondément. Le poste de portier l’est également, il nous fait ressentir les plus belles des émotions, mais souvent, il nous fait vivre une cruelle déception. Le poète incompris, le portier malheureux ne sont-ils finalement pas qu’une seule et même entité ?

Si le portier pouvait être décrit par une phrase, les deux vers suivants, extraits du chef d’oeuvre qu’est “Nuit Blanche” d’Albert Samain, seraient nécéssairement candidats :

“Tes mains feront chanter d’angéliques douleurs
Et je t’écouterai, silencieux d’extase.”

Il se dégage dans le poste de portier, une froide puissance, comme une glaciale autorité qui anéantirait tout sur son passage, mais avec une telle noblesse, que ne pas l’admirer serait inconcevable. Car, oui, le portier est violent. Il est violent dans ses sorties pleines d’explosivité, dans ses sorties aériennes où le poing est dur comme l’acier, dans ses envolées héroiques où il retombe violement, souvent sans même s’en rendre compte. Ce violent impact, où le corps heurte le sol et se fracasse de tout son poids, tout dans l’allure du portier est une ode à la violence, ode à l’autorité destructrice, car qu’est-ce que le poste de gardien, sinon que de chanter d’angéliques douleurs par nos mains ? N’y a-t-il pas chez le portier une part d’ombre qui ferait de lui, non plus un noble combattant, mais en réalité un truand déguisé en apôtre ?

De la beauté de la violence

Si le gardien est violent, c’est finalement par obligation. Comment, dans un combat aussi acharné qu’un match de football- ce sport plus important que la vie ou la mort elles-mêmes selon Bill Shankly, poète et entraineur légendaire de Liverpool – s’imposer sans violence ? Alors, la violence est notre réalité, une constante que l’on nous apprend. Elle nous sert et nous protège, même si elle nous pousse également à prendre des risques énormes. Ce genou levé par exemple lors de la sortie aérienne, qui représente notre seul bouclier face aux attaques adverses, est bien souvent salvateur, et on nous l’apprend dès le plus jeune âge car il est primordial. Mais cette violence dans nos actes, notre engagement inconditonnel à chaque action et ce quelles que soient les conséquences, reste pour beaucoup incompréhensible. Il n’y a qu’à voir la violence des chocs auxquels nous sommes confrontés, pour se demander si cette violence ne nous met finalement pas plus en danger ?

La blessure de Petr Cech en 2006 est l'exemple même du dévouement dont nous faisons preuve au péril de notre propre vie parfois.

Seulement voilà, cette violence, est finalement omniprésente. Depuis toujours, le sport est violent. Il est l’affrontement entre deux hommes prêts à tout pour en découdre, comme si la vie n’était plus qu’un détail face à la grandeur de la victoire. Cette brutalité est donc un élément clé, mais pourquoi nous, portiers, la tutoyons si bien ? Nous sommes destinés à combattre l’attaquant, qui désire à tout prix nous battre, nous humilier, nous déshonorer. Mais ces attaques répetées s’accompagnent souvent de contacts violents. Car l’adversaire n’a aucune pitié. Lorsqu’il se présente à nous, l’attaquant ne se demande pas si la frappe qui nous heurtera sera douloureuse. Il ne se demande pas si le tir soudain que nous devrons aller chercher nous causera une certaine douleur. Non, l’attaquant frappe, il est sans pitié, et il a raison. Alors, nous portiers, répliquons. Mais lors de nos réponses à ces assauts répétés, la violence dont nous faisons preuve est assez spéciale. Elle se caractérise par une certaine splendeur, une beauté assez étrange, où l’autorité presque divine du gardien en devient presque majesteuse. Car la violence de l’impact, de cette envolée subite et innatendue, parfois brutale, reste particulière. Cette envolée grâcieuse mais explosive, cette main délicate et ferme, ce poing rassurant et rageur, tout cela est partie integrante de cette beauté de la violence du gardien. Car la destruction aussi a sa beauté, égale à celle de la création. Et nous, qui sommes chargés de détruire, exprimons la beauté du poste par une superbe faculté à détruire.  Finalement, la beauté de la violence, de cette destruction permanente à laquelle nous sommes condamnés, n’est que le reflet de la beauté de l’action de l’attaquant. Comme une égalité parfaite, les deux viennent alors s’annuler.

Noblesse et tradition

Si le gardien est violent, il n’en est pas moins noble, car la noblesse résulte d’un caractère, d’une essence même du poste qui l’alimente. Non, si le gardien est violent, c’est par devoir. Ce devoir de protection, dont nous avions déjà parlé, impose un sacrifice important. Un sacrifice de soi, qui vient là renforcer ce sentiment d’exhaltation du poste, mais également un sacrifice moral. Un sacrifice de ce qui nous est le plus cher finalement, puisque nous devons parfois aller blesser l’autre. S’engager sans jamais se soucier du sort de l’autre, renier son humanité, renier toute empathie, considérer un ballon plus important qu’une vie ? Car si l’homme déteste une chose plus que sa propre douleur, c’est celle des autres. Victor Hugo disait noblement :

“Car à faire saigner je ne suis pas hardi ;
J’aime mieux ma blessure.” 

Oui, le gardien est noble, et s’il use de violence, il préfère 100 fois se blesser lui-même qu’autrui. La noblesse de ce poste résulte de cette volonté de subir tous les coups du monde, comme celui qui, accablé, porte les péchés de son équipe. Dans le même poème, Hugo utilise une expression qui est peut-être celle qui décrit le mieux le gardien : “Sombre porteur du monde”.  Ces mots d’une justesse presque visionnaire, donnent la vision parfaite du portier, dont la tradition de protéger les siens, dépasse l’entendement. Une tradition passée de génération en génération, de gants en gants, et qui perdure, car rien n’ébranle la tradition du portier. Cet héritage, transmis par un maître qui lui apprend la vie, est inestimable à ses yeux. Non, la noblesse du portier ne se trouve pas dans ses actes, sinon dans sa connaissance. Cette tradition, presque une foi, combien de fois le sauvera-t-elle de l’échec ? Bien trop au goût de l’attaquant, bien trop peu aux yeux du portier.

 

Photo : Whoateallthepies.com

 

News Feeds
Rejoins la communauté
Articles récents
Si tu souhaites recevoir du contenu exclusif, souscris à ma newsletter :
Haut de la page
Partages