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27 September 2017


Si le portier se doit de paraître infaillible, il est néanmoins confronté à une réalité toute autre. Une divergence cruelle entre réalité et illusion, qui se reflète dans une certaine fragilité du portier. Car aussi beau et imposant soit-il, le portier est avant tout un être fragile, à qui le moindre obstacle peut causer le plus grand déraillement. Tel le train qui se doit d’aller toujours de l’avant malgré toute la panoplie de pépins qui s’opposent à lui, le portier reste à tout moment concentré sur sa tâche. Seulement, là, dans ce petit wagon de sa tête, le portier garde en mémoire les atrocités de ce monde qu’il affronte chaque jour. Et chaque difficulté, chaque supplice, chaque erreur du passé est là et tourmente son futur. Si le gardien doit arriver à bonne gare, sa garde ne peut jamais s’abaisser. Aussi fragile que le silence même, le portier se doit de faire taire tout doute avant même qu’il naisse. De l’ambiguë fragilité du portier, qui le condamne à se surpasser ou à trépasser.

Du doute omniprésent

Le portier est condamné à vivre sous une épée de Damoclès qui s’abat sur lui au moindre tressaillement. Sur les rails de la réussite, le danger du déraillement est créé par la peur de l’échec. Car notre passé est parsemé d’erreurs, qui nous ont certes appris énormément mais qui reviennent sans cesse nous hanter de leurs abominables conséquences. Cette faute de main qui a relâché un ballon pourtant d’habitude si facile, cette erreur d’appréciation qui débouche sur une sortie manquée, cette passe ratée qui donne le ballon à l’adversaire, comme pointer un revolver sur sa propre tempe. Comment gagner cette guerre contre les gargantuesques souvenirs de nos gaffes ? Un seul homme peut-il réellement résister à la pression d’un univers qui veut sa perte ?

Robben célèbre alors que Joe Hart vient de commettre une erreur (Telegram)
Robben célèbre alors que Joe Hart vient de commettre une erreur (Telegram)

Et si le doute n’était pas assez, il s’ajoute à nos tourments la fragilité d’un corps exposé aux milles supplices. Entre blessures et défis, le corps du portier est malmené. Une enveloppe fragile qui s’expose là où le danger est omniprésent – être gardien n’est-il pas d’oser mettre la tête là où personne ne mettrait le pied ? – et qui finit bien souvent par nous blesser gravement. Et si par malheur, une telle blessure vous traumatise, chaque situation qui ressemble quelque peu à celle où ladite blessure fut subite devient un véritable cauchemar. L’appréhension vous envahit comme la pluie un soir d’hiver, et vous ne voyez plus que la scène se reproduire encore et encore, tel le train fantôme de vos pensées. Comment outrepasser la réalité de son vécu ? Et comme si cela n’était pas assez, toute la confiance en soi accumulée n’est alors plus qu’un souvenir lointain lors du retour. Si le portier doute de lui, c’est qu’il se connaît bien trop pour savoir que l’échec musique encore en lui telles les portées de rails (La chanson du mal aimé – Apollinaire).

De l’échec destructeur

Si le gardien a pour seule objectif l’héroïsme absolu et inconditionnel, il est confronté à la dure réalité de sa tâche. Bâtissant sans relâche un chateau de cartes immaculé arrêt après arrêt, le portier sait qu’à tout moment, la bourrasque de l’attaquant détruit toute une soirée de miracles. Un héroïsme vain donc, qui démontre encore que le portier demeure fragile. Batir, construire, et tout s’écroule, comme traverser tout un pays pour revenir au point de départ aux trois quarts du chemin. Justement, cela ajoute une dimension de fragilité à notre poste, puisque l’on sait que tout notre accomplissement ne tient qu’à la volonté du sort. Tout cela crée une pression psychologique accrue, le fil de notre vie s’arrête brusquement.

Benaglio à deux reprises sort un double arrêt avant de voir l'attaquant détruire tout son accomplissement.

Mais là ne s’arrête pas la cruauté du sort, puisque la chose devient très vite un cercle vicieux. Sans prévenir ni rien, le portier se retrouve brisé, condamné à se remémorer un chateau autrefois si culminant, aujourd’hui si terrassé. Si le but détruit le portier, il renforce la crainte de celui-ci tout en restant omniprésent dans sa mémoire. Alors, que faire ? Entre la peur de l’échec et les conséquences désastreuses de ce dernier, que reste t-il au portier pour trouver refuge ? Entre les doutes du passé et l’instabilité de son présent, comment diantre assurer un avenir ? Une équation impossible qui est son quotidien, qui devient sa feuille de route, et qu’il connaît mieux que personne. Finalement, portier, n’est-ce pas vivre là où personne n’ira jamais ?

Cruauté et impuissance

Si la fragilité du gardien est déjà exacerbée par tous les éléments cités précédemment, il existe une dimension de cruauté et d’impuissance qui élève le gardien au rang de malédiction. Quiconque connaît la réalité du portier ne peut que redouter ce destin tragique. Seul, le portier est encore plus fragile. Une vie d’ermite où on lui demande de trouver la force pour porter la faiblesse de dix autres. Car oui, en plus de sa propre faiblesse, le gardien endosse celle de ses coéquipiers. Une tâche herculéenne qu’il porte comme son fardeau pour que ses camarades soient libérés et aillent porter le flambeau de la victoire. Pendant ce temps, dans l’ombre du spectacle, le plus fragile de tous porte le monde.

Mais tout n’est pas noir dans le train des malheurs, et si le portier est malgré sa fragilité aussi héroïque, c’est qu’il a l’espoir, l’illusion d’avancer vers un monde nouveau. Après tant de chemin parcouru, il ne peut plus être si loin de ce but qui obnubile ses gestes et perfectionnent ses pensées. Après tout, qu’a t-il à craindre, lui qui côtoie l’échec à chaque instant. Aussi, comment abandonner si près du but ? Milles épreuves passées, encore plus d’échecs et il se tient toujours debout, avec pour seul motto le poème d’Aragon :

Roule au loin roule train des dernières lueurs                                                                                                                                                                                                                                                                          Les soldats assoupis que ta danse secoue                                                                                                                                                                                                                                                                                  Laissent pencher leur front et fléchissent le cou                                                                                                                                                                                                                                                                   Cela sent le tabac l’haleine la sueur

Car si le portier roule encore et encore, c’est parce qu’il ne peut laisser ces pauvres soldats seuls, mais surtout qu’il ne sait pas s’arrêter. Après tout, quelque soit la destination, comment pourrait-elle l’amoindrir, lui que le chemin a déjà rendu si fragile. Plus encore, fiancé de la terre et promis des douleurs, le portier n’a pour seule idylle que sa destinée. Et qu’importe les circonstances, qu’importe les risques, qu’importe la dureté des épreuves où cet être fragile s’écrasera, il roulera. Finalement, n’est-ce pas l’unique train de vie qu’il connaisse ?

Crédit photo: agen-bola.org

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